Lavinia - Ursula K. Le Guin
Ursula K. Le Guin est une célèbre autrice américaine de science-fiction qui a provoqué dans les années 60-70 l'émergence d'une écriture féminine au coeur d'un genre jusque là occupé massivement par les hommes. Lavinia est un livre atypique au coeur de son oeuvre : ici, loin des space opera ou de la fantasy de Terremer ou du Cycle de l'Ekumen, Ursula K. Le Guin étend son exploration des territoires de l'imaginaire en offrant une écriture parallèle et captivante de l'Enéide de Virgile. Inspiration nouvelle mais préoccupation féministe pour ce livre qu'elle considérait elle-même comme son meilleur roman...
Bien avant la vogue actuelle de la réécriture des mythes, bien avant les best-sellers de Madeleine Miller, Circé ou Le chant d'Achille, Ursula K. Le Guin donne voix à un personnage méconnu de la mythologie grecque : Lavinia, fille du roi du Latium et femme d'Enée. Le récit prend place après la fuite de Troie d'Enée, son errance, son histoire mouvementée avec la reine Didon, son passage aux enfers, et prend le parti d'imaginer l'histoire de l'enfance de Lavinia, de sa rencontre avec Enée et de leur courte mais heureuse vie commune. L'originalité du texte réside dans la narration : Lavinia prend la parole, témoigne de chaque épisode de sa vie, tout en demeurant à une distance presque ironique avec l'histoire narrée. En témoignent des épisodes surnaturels, fantômatiques et oniriques où Lavinia dialogue avec le poète qui l'a créée, ce dernier devenant alors le personnage d'une héroïne qui a saisi les rênes du récit.
Lavinia est un livre aux multiples beautés. Oeuvre poétique qui magnifie les visages de la nature antique, - forêts, mer tyrrhénienne, ciels, plantes, animaux -, en un style pastoral et élégiaque, c'est aussi une restitution historique de l'ordre politique du Latium, une évocation des luttes de pouvoir qui mèneront à la naissance de la cité romaine au VIIIème siècle avant JC. C'est enfin un portrait de femme particulièrement marquant par l'ensemble de ses incarnations, enfant, mère, amoureuse et... poétesse :
L'existence qu'il m'a donnée dans son poème est si terne, sauf à l'instant où mes cheveux s'enflamment, si pâle, sauf quand mes joues virginales s'empourprent comme de l'ivoire souillé de teinture écarlate, si conventionnelle que je ne peux plus le supporter. S'il me faut continuer à exister au cours des siècles, qu'une fois au moins je me libère et que je parle.