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La restitution des biens culturels

 


Les Marbres du Parthéon, actuellement conservés au British Museum

 

S’il est bien une question qui secoue actuellement les grands musées occidentaux, c’est celle sur la restitution des biens culturels. Depuis une dizaine d’années, il n’est pas rare de lire dans la presse qu’une œuvre quitte les collections du musée dans lequel elle était conservée depuis des siècles pour rejoindre celles d’une institution de son pays d’origine.  Ainsi, en 10 ans par exemple l’Egypte a fait revenir sur son territoire plus de 29 000 œuvres provenant de divers musées européens. À cette vitesse et si l’on considère que la plupart des collections des musées européens repose sur des œuvres provenant de l’étranger, peut-on imaginer que nos vitrines soient vides dans 150 ans ?

Parler de restitution de biens culturels c’est avant tout comprendre qu’il est question de différents types de situations, chacune s’accompagnant de son lot de spécificités.

Restitution de biens culturels : mais de quoi parle-t-on ?

La question de la restitution des biens culturels émerge dans un premier temps en Europe au lendemain de la seconde guerre mondiale. Dès l’été 1940, les spoliations d’œuvres d’art débutent en France et à partir de 1942, ce sont les appartements laissés vides à la suite des déportations et des internements ainsi que les coffres bancaires, qui sont vidés par les nazis et le régime de Vichy. On estime que plus de 100 000 œuvres et objets ont été pillés et envoyés sur le territoire allemand durant cette période. Après la guerre, 60 000 œuvres reviennent en France depuis l’Allemagne et 45 000 d’entre elles sont restituées à leurs propriétaires entre 1945 et 1950.

Il faut attendre 1999 et la création de la CIVS pour examiner de manière systématique et encadrée les demandes individuelles de restitution et proposer des mesures de réparation ou d’indemnisation appropriées. La Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 créée en 2019 au sein du ministère de la Culture a aussi permis, plus récemment, la restitution de trois œuvres d’arts spoliées aux ayant droits de collectionneurs juifs.  Il apparait donc évident que dans le cas précis des œuvres spoliées durant la seconde guerre mondiale nous assistons à une véritable accélération du phénomène accompagné d’une volonté toujours plus accrue des pouvoirs publics d’honorer le devoir de mémoire et ainsi de mettre en place un réel travail de réparation.

 


œuvres spoliées par le Régime Nazi et retrouvées par les troupes américaines en Allemagne à la fin de la Guerre

 

 


Momies égyptiennes conservées au Manchester Museum


Le Zodiaque de Dendera au Musée du Louvre

 

Si le Museum d’Histoire Naturelle renferme plus de 23 000 ossements, nul besoin de se rendre dans les grands musées parisiens pour constater que les restes humains font partie intégrante de nos collections muséales. Or, depuis une dizaine d’années, le futur de ces collections interroge les professionnels de musées. Comme l'explique l'anthropologue Maurice Godelier : "Pour de nombreuses cultures, la mort n'est pas la fin de la vie. La personne humaine continue de vivre au-delà de cet événement par les ossements." Que faire alors des restes humains de nos collections qui sont exposés et étudiés à longueur de journée ? Nombreux sont ceux qui souhaiteraient voir revenir sur leurs territoires d’origines les restes humains conservés dans nos musées. C'est ainsi qu’en mai 2011, le Musée d'histoire naturelle de Rouen restitue à la Nouvelle-Zélande la tête d'une guerrier Maori détenu dans ses collections. De la même manière, des descendants d’amérindiens guyanais demandent au musée de l’Homme, dans le but pratiquer des rites funéraires appropriés, le transfert des ossements d’hommes et de femmes morts de froids à Paris en 1892 après avoir été exposés dans des zoos humains. Ces demandes de restitution reposent sur une différence culturelle d’appréciation de la mort et questionnent le devoir éthique des musées et de leurs professionnels.

Si on ne se réapproprie pas ce qui nous appartient, on ne peut pas réellement avancer. - Dialika Haile Sané

Le troisième cas de restitution - et probablement celui qui fait le plus réagir aujourd’hui- relève de tous les objets saisis et déplacés pendant la période coloniale. Nombreuses sont les œuvres qui ont été ramenées (notamment d’Afrique) sur le continent européen, suite à des pillages ou à des dons plus ou moins légaux. D’autres œuvres ont simplement été réquisitionnées lorsque les territoires étaient occupés par les puissances européennes. Certains de nos musées sont en grande partie composés de ces collections comme le musée du Quai Branly. Les pays concernés demandent aujourd’hui un retour de ces objets mettant en avant qu’ils sont représentatifs de l’identité du pays et symboliques de son histoire. Les marbres du Parthénon, conservés par le British Museum sont le parfait exemple de ce cas de figure. Acquis par Lord Elgin lorsque la Grèce était occupée par l’Empire Ottoman au début du 19ème siècle, ces sculptures et reliefs sont aujourd’hui réclamés par la Grèce qui considère que l’empereur Ottoman n’avait aucun droit de les céder aux Britanniques. A ce jour, le British Museum refuse le dialogue avec Athènes, précisant qu’ils ont sauvé les œuvres d’une destruction certaine. L’Egypte par ailleurs réclame, entre autres, le retour du zodiaque de Denderah. L’archéologue et ancien ministre égyptien Zahi Hawass dénonce des « pratiques impérialistes » au moment de l’acquisition de cette œuvre alors que le musée du Louvre affirme qu’elle a été acquise en toute légalité.

Mais alors que les avis s’opposent en matière de restitution, qu’en est-il du parcours du combattant qui attends les institutions souhaitant faire des demandes en ce sens ?

Une quête commence toujours par la chance du débutant. Et s'achève toujours par l'épreuve du conquérant. - Paolo Cuelho

L’une des premières difficultés que les musées doivent franchir dans le cas d’une demande de restitution concerne l’origine de l’œuvre en question. Comment prouver que celle-ci est entrée dans les collections de manière légale ? Le cas du musée du Quai Branly fait exemple en la matière. Pour ses équipes, retracer l’origine des œuvres est devenu une priorité, soulignant le besoin de transparence de l’institution. Des projets de recherche et des partenariats sont menés avec les équipes scientifiques des pays d’origine et les communautés autochtones pour éclairer l’histoire commune des collections. Cette démarche de transparence s'inscrit dans la politique de coopération du musée. Il s’agit ainsi de lever le doute sur la légalité de l’acquisition et ainsi lutter contre le trafic international d’œuvres d’art. A ce titre, les musées peuvent s’appuyer sur l’expertise de l’OCBC. Les recherches visent aussi à vérifier que la légitimité de l’acquisition ne soit pas remise en question et que le bien n’ai pas été acquis sans le consentement du propriétaire, par la violence ou sous la contrainte.

 

 Pour autant, même si la demande de restitution se trouve justifiée, la deuxième difficulté consiste à dépasser le cadre légal car la protection des biens culturels est encadrée de manière juridique à plusieurs échelles. La convention de La Haye signée en 1954 à la suite des destructions massives du patrimoine pendant la seconde guerre mondiale est le texte international fondateur à ce titre. Les Etats signataires s’engagent, en cas de conflit armé à protéger les biens culturels et à ne pas les déplacer ou se les approprier. Le cas de la France est particulièrement complexe car les collections des musées sont aussi régies par la loi Musée de 2002 qui les rends inaliénables et imprescriptibles. Il est donc illégal de faire sortir des biens des collections que ce soit par le don, la vente ou le leg. Ainsi, chaque restitution doit faire l’objet d’une promulgation de loi exceptionnelle amendée par l’Assemblée nationale et le Sénat comme ce fût le cas pour les 26 masques rendus au Bénin en 2021. Fort heureusement, le cadre légal évolue et la loi du 22 juillet 2023 relative à la restitution des œuvres spoliés pendant la seconde guerre mondiale et celle du 26 décembre 2023 concernant les restitutions de restes humains permettent une dérogation du principe d’inaliénabilité des collections. L'examen au Parlement du projet de loi sur la restitution des biens culturels spoliés pendant la période coloniale, qui devait débuter le 2 avril 2024, a quant à elle été repoussée par le gouvernement.

 

Malgré le parcours du combattant que nous venons de développer, voici un dernier obstacle à franchir -s’il en fallait un autre- pour toute institution qui ferait une demande de restitution : avoir la capacité de protéger les œuvres une fois celles-ci arrivées à destination. Il s’agit ainsi pour le musée qui restitue l’œuvre de s’assurer qu’elle sera protégée à son arrivée et pour le pays accueillant de prouver qu’il est en mesure de l’accueillir et de la conserver, faisant ainsi de la restitution de biens culturels un cas de responsabilité internationale. En guise d’illustration, peut être cité l’exemple de la Libye qui a dû attendre à la fois une stabilisation de sa politique intérieure et l’ouverture d’un nouveau musée avant de pouvoir récupérer nombre d’œuvres spoliées pendant la période coloniale.   De son côté, le nouveau musée de l’Acropole d’Athènes a bien retenu la leçon et, pour contrecarrer l’argument du British Museum selon lequel l’ancien musée n’était pas en mesure de conserver les marbres de manière appropriée, a aujourd’hui un étage entier où la place de toutes les œuvres est matérialisée en attendant leur retour.

Le chemin est encore long avant une restitution automatique des biens culturels. Il est fort peu probable que dans un future proche nos salles soient complètement vidées de leurs œuvres et certains professionnels proposent déjà des alternatives. M. Martin, qui est à l’origine de la conception du Musée du Quai Branly et qui l’a dirigé pendant 21 ans estime qu'il vaut mieux parler de « circulation » des œuvres » et de « partage », « passant par des prêts, des dépôts et un certain nombre de transferts de propriétés », plutôt que de "restitutions massives". Mais qu’en est-il alors de notre responsabilité éthique et morale en tant que société ? Ces questions engendrent des enjeux légaux, moraux et éthiques qui touchent à notre dignité en tant que nation.

Restitution biens culturels

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