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Les Comédies Musicales, le renouveau du musical à la française

Les comédies musicales reviennent sur le devant de la scène française. Entre reprises et créations nouvelles, une dizaine se jouent à guichets fermés tous les soirs à Paris, le genre bénéficiant d’un regain du public. Mais qu’est-ce qu’une comédie musicale exactement ? Mélanger la danse, le chant et la comédie suffit-il à faire d’un spectacle une comédie musicale ?

En France, le genre est mal défini et méconnu, comme en témoigne le lancement en 1973, des opéras rock La Révolution française et Les Misérables où les tableaux s’enchaînent sans réels dialogues. Leurs créateurs, Claude-Michel Schönberg et Alain Boublil se rendent à Londres pour travailler sur la dramaturgie, à l’instar des comédies musicales anglo-saxonnes, permettant à leurs spectacles de connaître un succès mondial. Les comédies musicales en France sont-elles uniquement inspirées de celles de ses voisins ou existe-il des particularités liées aux pratiques culturelles françaises ?

La Comédie musicale en France : des opérettes légères aux grands shows

Histoire de l’opérette en France

La comédie musicale dans sa forme actuelle est une forme de théâtre alliant musique, chant et dialogues parlés et dansés. Elle est née au début du 20ème siècle et s’est particulièrement développée aux États-Unis, résultats de la fusion d’influences européennes et afro-américaines, de l’opérette au jazz.  

Avant cela, au milieu du 19e siècle, l’opéra-comique, drame lyrique, avait déjà plusieurs décennies d’une brillante existence, à l’image de l’opera buffa italien. L’appellation comédie musicale serait d’ailleurs apparue pour la première fois en Italie au 18e siècle : elle qualifiait les rares ouvrages musicaux légers qui allient chant, dialogue et éventuellement danse.  

En France, les compositeurs amis et rivaux Hervé et Offenbach donnent naissance à l’opérette, spectacle alternant numéros chantés et parfois dansés et dialogues se différenciant surtout de l’opéra-comique par son dénouement heureux et sa manière de rire de tout. Ils favorisent la création de petites comédies et ballets.

Dans les années 1920-1930, les opérettes évoluent en opérettes légères, véritables comédies de boulevard musicales qui connaissent un grand succès et se distinguent de celles américaines : elles sont interprétées par une dizaine d’artistes maximum, accompagnés seulement d’une poignée de musiciens voire d’un simple piano.  

Le terme comédie musicale est utilisé quelques décennies plus tard en France à la fin des années 60 pour qualifier différentes formes d’ouvrages musicaux.

 


Estampe de Louis Morel-Retz dit Stop pour l’Opérette d'Hervé "Mam’zelle Nitouche" 1883

 

 

Julien Clerc interprète Laissons Entrer Le Soleil (Let the Sunshine In en VO) extrait de la comédie musicale Hair

Un vent de révolution venu tout droit des Etats-Unis

À l’aube de 1970 en France, un spectacle d’un nouveau genre tout droit venu des Etats-Unis triomphe : la comédie musicale Hair. Cette comédie musicale de James Rado, Gerome Ragni et Galt MacDermot créée en 1967, rompt avec le spectacle traditionnel et apporte un vent de révolution sur le genre du spectacle musical. Considérée comme la première comédie musicale qui parle de son temps, elle raconte l’histoire d’un jeune fermier qui doit quitter son ranch pour combattre au Vietnam. Avant de s’engager, il décide d’aller visiter New-York et tombe sur un groupe de jeunes contestataires qui protestent contre la guerre au Vietnam, investis dans la révolution sexuelle et la lutte contre la société conservatrice américaine. Jouée pour la première fois à Broadway en 1968, ses chansons deviennent des hymnes des mouvements pacifistes contre la guerre du Vietnam. Après l’Angleterre, la comédie musicale s’exporte en France en 1969 avec en premier rôle le jeune Julien Clerc et surprend le public pour ses scènes dénudées allant même jusqu’à provoquer une manifestation de l’Armée du Salut. Hair inspire alors l’artiste Michel Berger qui commence à écrire lui aussi sa comédie musicale.

Le modèle Starmania : une œuvre puissante qui traverse le temps

La rencontre Berger-Plamondon

Au milieu des années 70, le nom de Michel Berger est sur toutes les lèvres avec celui de France Gall, avec qui il forme à la vie comme à la scène, le couple phare de la chanson française. Michel Berger a pour ambition d’aller au-delà de la variété, il veut marquer son époque.  

Sa rencontre avec le parolier et producteur Luc Plamondon en 1976 au Québec sera déterminante. Lui qui cherche inspiré par Hair, à créer un spectacle musical riche artistiquement aux messages forts, compose les musiques mais ne parvient pas à écrire les paroles. Il trouvera en Luc Plamandon, la puissance et la fantaisie des textes et ils élaborent ensemble un opéra-rock. Après la création des chansons et du livret, ils procèdent au casting pour lequel ils souhaitent 50 % d’artistes français et 50 % d’artistes québécois mais surtout aucune tête d’affiche. Ils veulent de jeunes talents que l’on ne connaît pas, avec une façon qui leur est propre de swinguer avec les mots. Ils comprennent néanmoins que sans tête d’affiche, il va être compliqué de vendre un album et un spectacle. Ils proposent alors à France Gall de rejoindre la troupe. C’est à ce moment-là qu’est composée la chanson Besoin d’amour.

Ils réussissent à engager un casting d’inconnus qui ne vont pas le rester longtemps comme Réjane Perry, Fabienne Thibeault, Claude Dubois et bien évidemment Daniel Balavoine. Bien qu’il ait déjà une chanson à succès à son actif Lady Marlène (1977) il n'a pas acquis la notoriété de son tube. Ce dernier refuse dans un premier temps la proposition n’aimant pas particulièrement travailler en troupe, mais accepte finalement de participer au projet.  

 

 

France Gall interprète Besoin d'amour extrait de Starmania

 

 

Daniel Balavoine interprète SOS d'un terrien en détresse pour la télévision

Un pari risqué pour un public peu habitué au genre

Le projet est ambitieux et risqué, mettre en scène une société futuriste dans laquelle chacun cherche son idéal sur fond de lutte des pouvoirs, du star système et de la satire des médias, la France étant peu habituée au genre de la comédie musicale. Le 10 avril 1979, le spectacle est joué pour la première fois au Palais des Congrès à Paris après plus de trois ans de préparation. La mise en scène est également nouvelle pour le public, de l’orchestre live aux danseurs aux costumes. Le succès est immédiat et pose une première pierre à l’édifice, ouvrant la porte à d’autres comédies musicales à succès faisant partie intégrante du patrimoine culturel français. Le succès repose en partie sur les chansons qui traversent le temps et les frontières, avec en particulier S.O.S d’un terrien détresse repris en anglais en 1992 sous le titre Only the very Best par Peter Kingsbery ou par Grégory Lemarchal en 2004, lançant la carrière de l’artiste.

Les chansons de Starmania sont reprises par beaucoup de chanteurs. Leur force, des hymnes engagés qui sonnent juste et qui sont encore d’actualité aujourd'hui. Elles dépeignent l’histoire de la société, des pouvoirs politiques à la manipulation des médias. 

Depuis automne 2022, la comédie musicale est de retour, réinventée avec aux commandes les meilleurs du milieu, Thomas Joly qui dirige la troupe d’artistes, Ladichère Kaoui, chorégraphe belge à succès des comédies musicales et de la pop pour la touche de modernité ou encore Nicolas Ghesquière un costumier de la maison Louis Vuitton. Les méthodes de casting allient méthodes traditionnelles et plus modernes notamment en épluchant les réseaux sociaux à la recherche de jeunes talents avec le même mantra que Berger et Plamondon : embaucher des inconnus même si cette fois-ci ils bénéficient de la renommée du nom du spectacle. 

Une accalmie avant l’an 2000

Le succès de Starmania ouvre la voie à d’autres succès musicaux, avant que la comédie musicale française connaisse une période creuse jusqu’au milieu des années 1990. Le retour commence en 1995 avec des reprises de standards, des adaptations de comédies musicales de Broadway mais est surtout marqué par le spectacle Notre-Dame de Paris créée le 16 septembre 1998 avec au commande Luc Plamondon et le compositeur Richard Cocciante.   

La comédie musicale inspirée du roman de Victor Hugo, rencontre un succès populaire incontestable avant même le lancement de la première avec la vente d’un million de disques et 120 000 places écoulées. Pourtant le pari est risqué, les producteurs refusent le projet, seul Charles Talar (producteur de musique avant de posséder le PSG) est confiant et loue pour 4 mois le Palais des Congrès après avoir entendu Richard Cocciante lui jouer les chansons au piano.

Le succès que rencontre la comédie s’explique par un formidable travail en duo. Cocciante fan de la poésie de Plamondon, lui envoie la mélodie initialement intitulée Time, une chanson d’amour et Plamondon décide d’en faire le point central de l’histoire et l’intitule Belle. Il en imagine la dramaturgie, l’air sera interprété à tour de rôle par les 3 prétendants d’Esmeralda.

La pièce repose également sur une mise en scène avant-gardiste confiée au canadien Gilles Maheu, mélangeant chœurs, acrobaties, danse et breakdance. Cocciante, met la priorité sur le chant : le spectacle se joue sans orchestre mais avec une bande-son préenregistrée sur laquelle les chanteurs inconnus comme le souhaite Plamondon, posent leur voix. Ces derniers comme avec Starmania deviendront des grands noms de la chanson francophone : Garou, Patrick Fiori, Hélène Ségara ou encore Julie Zenatti. Il en est de même pour les chansons, devenues des incontournables.  

Les producteurs de spectacles copieront cette formule : grand spectacle, de la danse, des grandes voix sur bande son enregistrée. Ainsi, se monteront dans les années qui suivent bon nombre de comédies musicales. 

 

 

Belle, extrait de la comédie musicale Notre Dame de Paris

 

 

Daniel Lévi interprète L'envie d'aimer, extrait de la comédie musicale Les dix commandements pour la télévision

Le Comédie-Boom de l’an 2000

Les comédies musicales vont connaître un retour fulgurant début des années 2000 où adapter des classiques de la littérature et mettre en scène des figures historiques n’effraient plus : Les Dix Commandements en 2000, Roméo et Juliette en 2001, Autant en emporte le vent en 2004, le Roi Soleil en 2005 ou encore Mozart l’Opéra Rock en 2009. On retrouve aussi des auteurs pop au commande avec par exemple Maxime Le Forestier et Pascal Obispo.

Le modèle économique est le même que pour Notre-Dame-de-Paris, un album est enregistré avant la première représentation, afin d’assurer la popularité du spectacle. Des clips très visuels aux investissements humains et financiers colossaux sont réalisés pour les singles. La mise en scène fait également émerger des noms incontournables comme celui de Kamel Ouali, chorégraphe sur Les Dix commandements qu’on retrouve quelques années plus tard sur la production de Cléopâtre en 2009. Pour le lancement de cette comédie des moyens importants sont mobilisés : la promotion du spectacle est lancée avec le clip Femme d’aujourd'hui en 2008 en amont de la première en 2009 mettant en vedette Sofia Essaïdi alors révélée par l’émission Star Academy. La musique est composée par Florian Dubos du groupe Kyo et reprend le tempo de la chanson Umbrella de Rihanna et Jay-Z, succès de 2007, la chorégraphie est de Kamel Ouali. Le tournage a lieu en Tunisie, au bord du lac Chott el-Jérid.

Le rythme de sortie des comédies musicales continue d’être soutenu dans les années 2010 : 1798 : Les Amants de la Bastille en 2012, Robin des bois en 2013, La Légende du Roi Arthur en 2015… Les producteurs connaissant la recette pour faire salle comble, certains géants du milieu ne tardent pas à y investir.  

Le modèle européen : Chacun dans la jungle a sa soif d'altitude

La comédie musicale “voyeuse” à l’image de la téléréalité

Des sociétés de production aux méthodes industrielles voient en la comédie musicale, un terrain particulièrement intéressant pour les investissements. C’est le cas de la société d'origine néerlandaise Stage Entertainment fondée en 1998 par l’homme d’affaires Joop van den Ende. 

Avant Stage Entertainment, le néerlandais cofonde la société Endemol avec John de Mol en 1993, notamment connu pour son programme de TV réalité Big Brothers en 1999, dont le nom de l’émission est inspiré du personnage Big Brother dans le roman de Georges Orwell 1984. L’émission, qui consiste à faire cohabiter reclus du monde, un groupe de jeunes personnes sous les yeux des caméras est un succès immédiat et s’exporte dans le monde et notamment en France sous le nom de Loft Story en 2001, considéré comme la première émission de TV réalité en France. Ce genre d’émission est connu par ses nombreuses critiques et ses considérables retombées médiatiques et par conséquent financières.  

Le businessman conscient que pour devenir le leader du marché de la comédie musicale à l’image de la TV réalité, il faut produire des spectacles à long terme, va acheter ses propres théâtres et commence par l’acquisition du Théâtre Mogador en 2005. Une mécanique qu’il met en place à l’échelle européenne avec l'achat d’autres salles de spectacle.

En coulisse, une mécanique bien huilée

La société produit aujourd’hui plus d’une trentaine de shows dans 7 pays en Europe et possède la propriété scénique du Roi Lion, la comédie musicale la plus rentable au monde ou encore de Mamma Mia. Pour le Roi Lion, succès de Disney, le spectacle est cher à monter à tel point que chaque acteur à une doublure pour assurer chaque représentation.

Les comédiens, titulaires et remplaçants, sont sujet à une préparation physique et mentale importante. Cet entraînement d'athlètes de la voix et de la danse inspire en France, la création d’une école dédiée à la Comédie Musicale : l’AICOM, l’Académie Internationale de la Comédie Musicale.

L’AICOM, est créée en 2004 en région parisienne avec pour ambition de devenir un établissement pluridisciplinaire où le chant, la danse et le théâtre seraient enseignés aux jeunes talents dans le but de devenir des artistes de théâtre musical. Cette création va de pair avec le succès des comédies musicales au début des années 2000, faisant de l’hexagone une terre propice pour les comédies musicales. Aujourd’hui, l’école dispose également d’un campus à Lyon et produit ses propres spectacles.

”J’ai perdu le sens de l’art depuis que j’ai le sens des affaires”

Pour les « puristes » de la comédie musicale, toute cette synergie du monde des affaires autour de la comédie musicale, met en exergue le fait que la dimension de rentabilité prime sur la notion de l’art. Certains se demandent où est passé l’amour de l’art, du divertissement. La culture de la comédie musicale en France (et plus largement en Europe) n’est-elle vue qu'à travers de la vente d’albums, le succès des artistes ? 

On peut comparer le modèle européen avec le succès de la Comédie Musicale américaine Wicked de Stephen Schwartz et de Winnie Holzman créée en 2003 et toujours jouée à Broadway. La comédie raconte au pays d’Oz (Univers d’après le roman de Lyman Frank Baum en 1900 Le Magicien d’Oz) l’histoire de deux jeunes filles que tout oppose, leur amitié et leur rivalité face au gouvernement corrompu du Magicien d’Oz. La popularité de ce spectacle est avant tout due au bouche à oreille, essuyant de nombreuses critiques de la presse. Cette comédie est appréciée des artistes et des spectateurs pour la diversité des thèmes abordés, l’amitié, les femmes, les normes sociales, qui contribue au succès du spectacle, nommé 10 fois au Tony Awards, les récompenses théâtrales américaines.

Un équivalent de cette cérémonie en France existe, La Nuit des Molières bien moins médiatisés et connus du grand public que leur homologue américain. De plus, certaines catégories telles que le Molière du meilleur spectacle de divertissement ont uniquement été desservie une fois, bien qu’il existe toujours la catégorie du Molière du meilleur spectacle musical. On retrouve aussi créés en 2017, les Trophées de la Comédie Musicale ne bénéficiant pas d’une retranscription télévisuelle.

 

 

Popular, une chanson de comédie musicale américaine Wicked

Il existe des différences culturelles au niveau de la comédie musicale entre la France et les pays anglo-saxons qui privilégient le show avant la star. Dans l’hexagone, les spectateurs viennent écouter les chansons à succès, concourant au reproche fait à la France, de privilégier le succès des chanteurs et des chansons au détriment de l’audace artistique.

Le public français est attaché à ses comédies musicales, en témoigne le business florissant du "revival" à l’image du nouveau spectacle Starmusical qui reprend 50 ans de succès musicaux, avec dans la troupe certains interprètes originaux. Nombreuses sont les tournées hommages, les reprises de spectacle, réunissant les fans de la première heure nostalgiques et de nouveaux qui découvrent les spectacles. Bien que les remakes soient innovés pour correspondre aux tendances musicales actuelles, le renouveau est moindre. Les créations originales se font plus rares, ce que déplore notamment le comédien Mikelangelo Loconte, premier rôle de la comédie musicale Mozart l’Opéra Rock : "la France est vantée pour ses créations, ses remakes. Je pense que la ligne à avoir, c’est de créer des collectifs, pour faire de vraies créations, des spectacles magnifiques."

Cependant certains prennent le risque de se lancer dans des créations inédites pour le public français comme en témoigne le dernier spectacle en date Molière, l’opéra urbain par le producteur Dove Attia à qui on doit Les Dix commandements (2000) ou encore Le Roi Soleil (2005). Lancée fin 2023, les retours de la presse sont positifs pour cette comédie musicale inspirée du spectacle américain Hamilton lancée en 2015 (nommée pour 16 Tony Awards).