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Les « Autres » au cinéma
Ou les extra-terrestres, essai de panorama critique

 

Voyage sur la lune avant 1900
Voyage sur la lune avant 1900

 

Statue Roswell
Statues exposées à l'UFO Museum de Roswell © Rachid Dahnoun/Corbis

 

Origines populaires

Le sujet d’une vie extraterrestre n’a certes pas attendu l’arrivée des techniques d’impression papier à grande échelle pour se faire jour, mais il est évident qu’il s’est développé grandement avec les récits feuilletonesques et la presse au XIXe siècle. Jules Verne et Méliès sont bien sûr des représentants éloquents dans leur domaine littéraire et cinématographique. Le nom de A. de Ville d’Avray peut quant à lui, être plutôt associé à celui de la narration illustrée avec son « Voyage sur la lune avant 1900 » publié en 1892. On y voit déjà des créatures dignes des meilleurs récits de science-fiction, à savoir des « bêtes hideuses », sorties de moules géantes.

Cependant, les années 1940 et 1950 sont généralement admises comme étant les décennies de choix du sujet des OVNI (Objet Volant Non Identifié), avec une bibliographie romanesque et feuilletonesque conséquente, à laquelle les Pulps (romans de gare) et les comics ont largement contribué. L’affaire Roswell, nommée d’après le lieu de la découverte en 1947 sur la zone 51 militaire du Nevada de restes d’un appareil de météo, étant réputé avoir été un ovni, déclenche le processus populaire. Au fil du temps, la vision humaine de l’extra-terrestre évolue, les films leur étant consacrés abordant différentes thématiques :

  • D’autres formes de vie à découvrir
  • Des créatures (uniquement) prédatrices, des destructeurs
  • Une parabole de nos propres différences
  • Une galerie de possibilités, un zoo gigantesque
  • Un objet de moquerie, un prétexte de comédie
  • Des défendeurs de la biodiversité et des annonceurs de message

L’autre : une vision de nous-même à peine voilée

Le cinéma a évidemment peu abordé le thème au cours des premières décennies de son existence (1890-1930) faute de moyens suffisants, préférant les figures du robot ou du Golem, selon un genre fantastique typique de cette époque. A cet égard, on note les classiques Metropolis de Fritz Lang, ou bien encore le Frankenstein de James Whale (1931), qui resteront tous deux dans les mémoires pour avoir incarné à la perfection les aléas de créatures mécaniques ou hybrides comportant une âme… Une vision déjà en miroir de nos propres questionnements… Comment ne pas citer aussi, dans une certaine mesure, le Tarzan de Edgar Rice Buroughs, créé en 1912, porté pour la première fois sur les écrans en 1918, mais dont la version écrite, à l’inverse des premiers nanars oubliables, dépeint assez bien l’Autre, dans ce qu’il a de plus animal. 

Des êtres venus d’ailleurs

Les années cinquante - recherche aéronautique, découvertes liées à la bombe H, romans et comics de science-fiction aidant - sont en revanche un vivier de trésors patrimoniaux. On citera les classiques : The Thing (from another world, 1951), Le Jour où la Terre s'arrêta (1951), La Guerre des mondes (1953), Le Monstre (The Quatermass Xperiment, 1955), Planète interdite (1956), L’invasion des profanateurs de sépulture (1956), Le Blob (Danger planétaire, 1958), parmi les plus éloquents. Dans ces films, le rapport à l’autre est quasi exclusivement basé sur le danger, la peur, l’extermination redoutée de l'espèce humaine. Les risques liés au nucléaire, la seconde guerre mondiale et ses ravages y étant pour beaucoup. Le MacCarthysme, lié au sénateur américain Mc Carthy, qui déclara la guerre entre 1950 et 1954 aux communistes de tout poil, créant la fameuse « chasse aux sorcières » dans les milieux culturels, en est aussi une cause principale. Cette chasse, où tout citoyen peut être jugé suspect, fonctionne comme une parabole dans L’invasion des profanateurs de sépulture. Dans ce film de Don Siegel tiré du roman de Jack Finney paru un an plus tôt, une entité extra-terrestre a le pouvoir de prendre l’apparence humaine, via un cocon multiplicateur, et de se fondre dans la masse, remplaçant petit à petit l’ensemble de la population. The Thing from another world ne raconte pas une chose bien différente, tandis que les autres films cités évoquent diversement notre vulnérabilité face à des entités inconnues. L’homme n‘a pas encore franchi les frontières de sa planète, mais panique déjà à l’idée de rencontres extra-terrestres, à moins que ce ne soit de lui-même qu’il ait peur… A noter : Them, les monstres attaquent la ville (1954), met en scène des fourmis géantes bien terrestres, là encore développées à cause d’expérimentations nucléaires malheureuses. Godzilla, classique japonais daté de 1954, retrace une situation similaire, dénotant une obsession et une phobie communes de l'époque.

 

 

Affiche en français du film (1927)
Affiche en français du film Metropolis (1927)

 

 

Godzilla (film, 1954)
Godzilla (1954) © Tōhō

 

 

 

Une scène tirée du film « Planète des singes » © 20th Century Fox
La Planète des singes - © 20th Century Fox

 


Rencontres du troisième type - © Columbia Pictures Corporation

 

Une scène tirée du film Alien, le huitième passager -
Alien, le huitième passager - © 20th Century Fox

 

Si loin, si proche…

Les années soixante explorent amplement le voyage vers l’ailleurs (temps et espace) et, la conquête spatiale avançant, se posent davantage la question des possibilités et contraintes techniques. On citera à cet égard 2001, l’odyssée de l’espace, Barbarella, La machine à explorer le temps, et bien sûr, La Planète des singes, qui, tout en remettant en cause la toute-puissance humaine dans l’univers, évoque surtout la différence et notre propension à maltraiter les autres. Les effets spéciaux évoluant, on note aussi une recherche esthétique, l’envie de pointer l’ailleurs, le corps humain lui-même étant comparé à une planète (Le Voyage Fantastique, 1966). N’oublions pas cependant la série culte Star Trek (la patrouille du cosmos) créée par Gene Roddenberry et diffusée à la télévision dès 1966, où la notion de découverte et d’« autres » pouvant être amicaux est alors popularisée. Dans l'univers Star Trek, l'humanité développe le voyage spatial à vitesse supraluminique, grâce à un moteur à distorsion, à la suite d'une période post-apocalyptique du milieu du XXe siècle. Plus tard, l'homme pourra s'unir à d'autres espèces intelligentes de la galaxie pour former la Fédération des planètes unies. Une porte ouverte sur les futurs films de science-fiction du genre…

Le Zoo galactique, une philosophie à retenir ?

La révolution explose vraiment avec Star Wars, en 1977, introduisant la notion de « zoo » galactique. En effet, dans la saga de George Lucas, il devient commun de croiser nombre de créatures intelligentes venant de planètes aussi diverses qu’inconnues. Celles-ci étant autant pacifiques que guerrières, partenaires de l'espèce humaine ou ennemies. Si ce film ayant marqué l’histoire du genre fait date, sort sur les écrans l’année suivante le premier Superman réalisé par Richard Donner, adapté du célèbre comicbook. N’oublions pas que, malgré son apparence très humaine, ce superhéros provient de la planète Krypton ce qui fait de lui un parfait extraterrestre. S'il est adopté par une famille de paysans du Midwest (la famille Kent), cela ne l’empêche pas de développer très tôt des superpouvoirs liés à ses origines. Avec Superman, on est non seulement dans le mythe du superhéros, mais aussi et surtout dans celui d'un regard moral sur l'humanité. Une manière légèrement détournée de souligner, une fois n’est pas coutume, nos travers et comment notre espèce a besoin d’être accompagnée, dirigée, réorientée… pour le meilleur. L'Homme qui venait d'ailleurs (The Man Who Fell to Earth, 1976, de Nicolas Roeg, avec David Bowie), ou Starman de John Carpenter (1984) ne disent pas vraiment autre chose, prenant l’exemple de créatures venues plus ou moins par accident sur terre, et faisant connaissance avec l'humanité, apprenant à découvrir entre autres ses bons côtés. Les années soixante-dix étant une décennie assez riche en lancements de sondes spatiales, envoyées dans et hors notre système (Luna, Mariner, Pioneer, Viking, Voyager), l’esprit de découverte se fait de plus en plus prégnant. Rencontre du 3eme type, de Steven Spielberg (1977) poussant plus loin aussi la question de la communication entre deux espèces intelligentes, et la possibilité d'interaction entre elles. Alien le huitième passager, de Ridley Scott (1979), fait un peu figure d’exception, montrant le côté sombre de nos explorations, et notre fragilité dans l’espace face à d’autres vies possibles. Faut-il vraiment continuer à explorer ?

Horreur et malheur, mieux vaut en rire

Si certains films du début des années quatre-vingt, comme E.T. (1982), Ennemy Mine ou Cocoon (1985) tentent de préserver le positivisme légèrement utopique des années précédentes durant quelques temps encore, ils sont également précurseurs du concept de développement durable à venir. Bien vite la peur et le danger reviennent en force dans nos salles obscures. Predator (de John Mc Tiernann en 1987) en est un des plus beaux spécimens, avec une espèce uniquement prédatrice, dotée de la faculté d’invisibilité, et ne visitant une planète que pour augmenter ses trophées. Notons aussi Hidden (Jack Sholder, 1987) ou Elmer le remue méninge (Frank Hennenlotter, 1988), explorant l’aspect parasitaire déjà vu dans The Thing, en le cuisinant à la sauce moderne. Une certaine dérision est cependant ajoutée à cette crainte et cet aspect horrifique, créant un mix assez typique de ces années-là. Citons : Gremlins (Joe Dante 1984), Critters (Stephen Herreck, 1986), Howard... une nouvelle race de héros (Willard Huyck, 1986), jouant à fond la carte comédie, tandis que Terminator (James Cameron, 1984) aborde le thème de L’intelligence artificielle, à double face. Un thème amené à prospérer.

Faites votre choix

Dès lors, les années qui vont suivre vont surfer sur ces différentes expériences, adoptant l’un ou l’autre point de vue anti ou pro extra-terrestre, et apportant des ingrédients plus ou moins novateurs, selon les scénaristes et réalisateurs. Les années quatre-vingt-dix voient par exemple Abyss (James Cameron, 1989) où ce sont les hauts fonds qui donnent à voir l’"autre" (encore l’idée de préserver nos ressources), Planète hurlante (Christian Dugay, 1995, adapté de Nouveau modèle de Philippe K Dick), où là encore la transformation et la peur sont au menu, comme dans Independance Day (Roland Emmerich, 1996) ou StarshipTroppers (Les patrouilleurs de l’espace, Paul Verhoeven 1997). C'est l’occasion de scènes difficilement soutenables, où l’homme subit dans ce second film les attaques de « monstres » arachnides, qu'il a malencontreusement envahis sur leur propre sol. Une dénonciation de l'expansionnisme humain, puni par de sévères représailles, que l’on retrouve sous une forme néanmoins un peu moins dure dans Avatar en 2009. La thématique écologique devient ainsi de plus en plus prégnante, associant ouvertement la présence humaine dans l'univers à une responsabilité pas toujours positive. Au cours des années 2010-2020, Mars Attack (Tim Burton, 1996) bien qu’évoquant l'invasion de la Terre, se moque de la crainte de l'inhumain, en la poussant à l’extrême de l’exagération… Tout comme Men in Black (Barry Sonnenfeld, 1997). Le Cinquième élément de Luc Besson (1997), s’inspire de son côté des bandes dessinées Valérian (Christin et Mézières) et L’incal (Jodorowsky-Moebius) et revient, dans la tonalité qu’on lui connaît, c’est à dire plutôt la comédie, sur l’aspect « zoologie » intergalactique, ajoutant au passage dès le début la présence d’entités extraterrestres ayant foulé le sol terrestre il y a des millénaires.

 

 


E.T. l'extra-terrestre - © Universal Pictures

 

 


Avatar - © 20th Century Fox

 

 

5 eme élément
Le Cinquième Élément - © Gaumont

 

 

 

District 9
District 9 - © TriStar Pictures

 


Premier contact - © FilmNation Entertainment

 


Venom - © Columbia Pictures

 


Transcendance - © Alcon Entertainment

 

Et si c’était nous ? Intelligence Artificielle (IA) et transhumanisme

Les années deux mille, grâce à la haute technologie des effets spéciaux, permettent d’aller encore plus loin dans la représentation de notre vision de l’« autre ». Les synopsis évoluent à la frontière du métaphysique, comme avec IA de Steven Spielberg (2001), 2h 26 de film jouant à la fois sur la théorie du post humain, - le Transhumanisme -, et l’existence d’entités extra-terrestres plus responsables, plus évoluées. Un thème que l'on retrouve dans Prométheus de Ridley Scott (2012). Reprenant la licence Aliens créée en 1979, le cinéaste la développe afin d’explorer plus avant l’identité de ces « ingénieurs » supposés avoir créé l'espèce humaine mais possédant un pouvoir déique pas toujours bienveillant. Une thématique déjà abordée depuis les années soixante-dix par le créateur Jack Kirby avec Les Éternels, que l’on retrouvera adapté au cinéma en 2021 par Chloé Zhao. Cette décennie a aussi connu son lot de films (animés ou non), remettant en avant l’intelligence artificielle, souvent grâce à des adaptations de mangas. On citera les films Ghost in the Shell (1995), l’Homme bicentenaire (1999), I Robot (2004), entre autres, où la machine est un prétexte pour réfléchir sur notre condition d’humain. Les années à venir continuent à explorer cette voix avec Ex machina (2014), Chappie (2015), ou Gumn (Alita Battle Angel, 2019).

Au cours de ces années, d’autres films développent des thématiques particulièrement intéressantes, en ce qu’elles proposent des visions assez peu vues. Ce sont souvent l’œuvre de grands créateurs. Tel Dreamcatcher (Lawrence Kasdan, 2003), adapté de Stephen King, film qui oscille entre fantastique, horreur, invasion, tout en abordant le sujet du handicap, comme réceptacle d’une entité... salvatrice. Il fallait y penser. Ce film a malheureusement assez peu marché en salles. District 9 de Neill Blomkamp (2009) aborde, quant à lui, le thème de l’étranger, dans ce qu’il a de plus humain, en créant une métaphore autour de la présence d’immigrés parqués dans des camps en Afrique du sud, les remplaçant par des extra-terrestres échoués suite à une maladie au sein de leur vaisseau. La frontière entre maton et prisonnier est fine lorsque l’injustice est de mise. Film socio-politique fort, marqué par une patte créative reconnaissable. After Earth (2013) aborde l’Autre comme un faire-valoir pour nous dépasser, une sorte de miroir auquel la concentration  peut permettre d'échapper en nous rendant invisible à ses yeux. Premier contact de Denis Villeneuve en 2016 évoque avec talent la thématique de la communication déjà entrevue dans Rencontre du troisième type, apportant une touche encore plus forte, plus réaliste à cette drôle de visite sous forme d’avertissement. Life origine inconnue (Daniel Espinosa, 2017) quant à lui, s’il ne révolutionne pas le film de science-fiction, a le mérite d’apporter un côté réaliste quasi documentaire à la thématique de l’exploration moderne, posant la question des procédures de sécurité liés à un contact au cours d’un mission. De quoi un peu se méfier...

A ce stade, comment ne pas citer les adaptations de comics Marvel, dans lesquels, bien que la tonalité soit davantage liée à de la distraction grand public, la présence de l’extraterrestre (comme dans Captain Marvel, d’Anna Boden et Ryan Fleck, 2019) est à nouveau rattachée au besoin de sécurité, d’entité « au-dessus de nous », pour aider l'humain à dépasser ses erreurs. A l’inverse, certaines de ces entités peuvent être néfastes, n’hésitant pas à anéantir les êtres humains, telles les créatures de Venom (Ruben Fleischer 2018) ou Brightburn (David Yarovesky, 2019), au nom d'une vision quelque peu biblique de l'expiation. Transcendance (2014) réinterprète de son côté la thématique de l’IA globale, où l’être humain devient un tout. Un questionnement de plus en plus prégnant. Et si l’autre, au final, c’était… nous ?

Quoi qu’il en soit, et au fil de cette exploration non exhaustive, on comprendra que l’appréhension de « l’autre » nous renvoie à la fois à nous-même, à nos propres craintes et à la peur de l’inconnu. Si le désir de découvrir d’autres formes de vie nous étreint, cela reste lié à beaucoup de fantasmes, qui donnent lieu à un panel assez large de scénarii possibles. L’idée moderne étant tout de même de davantage se sentir faire partie d’un tout, et d’assumer au mieux ses responsabilités, avant que le « grand polichinelle » ne nous dévore. La promesse de belles soirées de visionnage...