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Rossignol de mes amours
Variations autour de la figure du rossignol en musique

 

Les Oiseaux de nos Régions, textes du Dr. Goetz Rheinwald et William D. Campbell, dessins de Basil Ede, René Malherbe éditeur, 1986. (Cote ILL 272)

 

 

Les oiseaux ont inspiré à l’Homme les plus tendres de ses créations artistiques, littéraires, picturales et naturellement musicales. Pour mieux voltiger parmi nos amis à plumes et s’adonner aux charmes de leur ramage, il n’est qu’à se faire Papageno, le sympathique oiseleur de La Flûte Enchantée, et attraper ainsi au vol quelques-uns des spécimens les plus émérites.

Le répertoire composé depuis la Renaissance prend ainsi des airs de volière où il n’est qu’à tendre l’oreille pour être bercé par le canari dans Les Pantins de Violette d’Adolphe Adam (1856), par l’alouette dans les Voix du Printemps de Johann Strauss II (1883), l’Hirondelle d’Eva Dell’Acqua (1893), sans oublier la colombe et son avatar espagnol, la paloma (dans la zarzuela, opérette espagnole). Les gros oiseaux ne sont pas oubliés qu’il s’agisse de la très prosaïque Poule de Francis Poulenc (1899-1963) ou le Lac des Cygnes de Piotr Ilitch Tchaikovsky en 1877. Parfois, nul n’est besoin de s’embarrasser des complexités ornithologiques, les compositeurs convoquent la gent ailée sans préciser du merle ou de la pie qui est celui qui pépie. Ainsi de l’oiseau de la forêt dans Siegfried de Richard Wagner (1876). Et puis il y a les obsédés pathologiques : Olivier Messiaen qui revendique reconnaître le cri de quelques cinquante espèces différentes et qui rassemble entre 1956 et 1958 un catalogue d’oiseaux, variations orchestrales et instrumentales du langage oiselier.

Parmi cette faune plumassière et babillarde, il est pourtant un oiseau qui enchante l’imaginaire populaire depuis la nuit des temps, c’est le rossignol, à première vue espèce assez commune, d’aucuns diront passe-partout, avec un plumage brun-roux. Ce passereau est en fait le phénix des hôtes, non de ces bois mais plutôt des lisières, des fourrés et des taillis. Nuit des temps, disions-nous, puisque le rossignol dit philomèle est réputé chanter à la tombée du jour. Attribution poétique plus que réaliste. Dans les faits, le rossignol se produit nuit et jour. L’intermittence de son chant se fait plutôt saisonnière, puisque c’est entre avril et juin que le freluquet éprouve sa belle voix sans jamais lasser ses proies. Alors si, dans la nature, le rossignol ne chante pas mais gazouille, pulule, siffle, gringotte ou glousse, au royaume de la musique, de la mélodie et de l’opéra, il est bien le Maître-Chanteur le plus ébouriffant. Sieur Rossignol, à vous l’honneur !

Photographie d'un rossignol - © Andyworks
Photographie d'un rossignol - © Andyworks

Le mythe fondateur de Philomèle

Si la figure du rossignol inspire, c’est en vertu de la beauté de son chant, assurément, mais également parce que les compositeurs d’opéras et de mélodies s’appuient de manière importante sur des références culturelles puissantes, notamment littéraires. 

Il faut pour cela remonter aux sources mythologiques. Selon les Métamorphoses d’Ovide, Philomèle et Procné sont les filles du roi d’Athènes, Pandion. Procné épouse Térée, roi de Thrace. Découvrant la beauté de sa belle-sœur, ce dernier la viole. S’ensuit une terrible vengeance ourdie par les deux sœurs, qui font déguster à Térée le propre fils né de son union avec Procné. Les deux sœurs échappent à la colère royale en se métamorphosant l’une en rossignol, l’autre en hirondelle ; les traditions divergent sur qui se fait quoi. Térée est lui changé en huppe.

 

Les analyses les plus fines, celle de Michèle Biraud et Evrard Delbey en tête, ont perçu dans ce récit mythologique aux multiples versions une métaphore qui, sous le vernis du comportement animal, analyse les relations humaines, allant jusqu’à pointer des rapprochements entre le langage des oiseaux et celui des hommes.

Ainsi, le cri de la huppe présente un timbre grave, identifié à la voix de l’homme, Térée, quand les tonalités plus aigües du rossignol et de l’hirondelle traduisent les personnages féminins. Outre les sentiments vécus par les personnages, cette caractérisation des voix de chaque personnage fixe également la place que chacun doit tenir dans la société, en conformité des cadres mentaux des Anciens.

 

On est loin des romantiques sérénades des nuits d’été où les amoureux content fleurette appuyés à la balustrade d’un balcon ou embaumés du parfum des chèvrefeuilles. Ici, le chant du rossignol n’est rien de moins romantique et de plus douloureux : il se fait violence éprouvée et ressassée jusqu’à exultation de la vengeance ou l’expression de la plainte, du sanglot, du deuil

Consciemment ou non, les auteurs puisent à ce mythe fondateur, depuis Chrétien de Troyes à l’Ode à un rossignol de John Keats en 1819, en passant par Shakespeare, La Fontaine ou encore Lamartine… Le Lai du rossignol de Marie de France, vers 1178, fixe particulièrement les grands traits de cette figure culturelle en faisant du rossignol le témoin nocturne d'un amour galant et la victime expiatoire d'un mari jaloux. 

Le témoin des amours heureuses et funestes

Cette dimension tragique s'imprime également dans la production musicale où le chant du rossignol rend compte d’une tonalité à la fois funeste et sombre. De manière détournée, Charles Gounod, dans son Roméo et Juliette, en 1867, en fait le refuge d’une Juliette qui cherche à se leurrer et à croire que la dernière nuit partagée avec son Roméo se prolonge au gré de ses aspirations. Alors que ce dernier prétend que « L’alouette déjà nous annonce le jour ! », ne répond-elle pas « Non, non, ce n’est pas le jour, ce n’est pas l’alouette, Dont le chant a frappé ton oreille inquiète, C’est le doux rossignol, confident de l’amour ! ». Et coulent ainsi dans le chant du rossignol les aspirations du sentiment amoureux en même temps que ses désespoirs.

Cette approche est assez similaire aux pages consacrées à d’autres oiseaux, qui célèbrent la fidélité et la tristesse des oiseaux séparés. On pense à l’air de Giulietta dans Les Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach en 1881 qui pleure la fuite de la tourterelle, ou bien au ramier dans Lakmé de Léo Delibes en 1883.

Ce dernier dépasse la seule analogie au bonheur contraint en explorant la voie (et la voix) de la désillusion. Une de ses mélodies, Le rossignol, n'expose pas la passion amoureuse mais transcrit les idylles passagères et les épanchements des cœurs trahis par des amours qui ne reviennent pas avec le printemps.


 

Au rossignol, Charles Gounod


 

C'est un mystère que la nuit

Il ne faudrait cependant pas restreindre la production musicale s'inspirant du rossignol uniquement à une noirceur, du moins d'un point de vue figuré. Car au-delà du sentiment amoureux décrit, c'est également à l'atmosphère nocturne que les compositeurs s'adonnent dans les pages qu'ils consacrent au passereau chanteur.

Sur un poème d'Alphonse de Lamartine, Charles Gounod offre avec Au rossignol une magnifique exaltation de la nuit qui ne cède ni aux souffrances passionnelles, bien que la mélodie fasse référence à Philomèle, ni aux roucoulades de jeunes amoureux. Point de violence, point de virtuosité. Les sortilèges nocturnes captent l'essentiel de la composition, qui évoque davantage une célébration mystique de la nuit dont le rossignol serait l'officiant inspiré. 

Il en est de même avec La Nuit de Camille Saint-Saëns. Qualifiée par le compositeur « d’espèce de petite cantate », et de « très charmant », l’œuvre associe orchestre, chœur et voix de soprano léger, très léger, selon le vœu de Camille Saint-Saëns (1865-1921) pour conférer à la mélodie le mystère et la sérénité que lui évoque la nuit.

Et c’est bien au rossignol que la soprano s’adresse pour respirer « la brise de ses flatteries, de ses murmures tremblotants ». Saint-Saëns rassemble un orchestre tout aussi léger, quasi mozartien, fait de flûtes, de hautbois, de clarinettes et de bassons, qui constituent un écrin parfait pour les trilles de la soprano, censée traduire de manière naturelle le chant du rossignol.

Transcrire musicalement le chant du rossignol

Camille Saint-Saëns s’inscrit en celà dans une tradition musicale ancienne. Dès la Renaissance, Clément Janequin (vers 1485-1558) livre une série de chansons descriptives teintées d’humour et de poésie, au sein desquelles figure un Rossignol. Le compositeur français utilise des onomatopées pour évoquer le chant de l’oiseau. Si François Couperin (1668-1733) s’attache davantage avec son Le Rossignol en amour et ses autres compositions oiselières à la symbolique du désir amoureux, c’est bien la veine imitatrice qui va faire florès et provoquer de délirantes compositions où instruments et voix humaine vont rivaliser à qui mieux mieux pour se rapprocher des pépiements. Par la suite, les compositeurs recourent de fait à de nombreux instruments, appeaux, serinettes, flageolets d’oiseaux pour évoquer le ramage des oiseaux. 

Dans Goyescas (1911-1916) Enrique Granados offre au 3e tableau un dialogue entre la maja y el ruiseñor (la dame et le rossignol) où certes le chant est porté par une soprano aigue sans virtuosité excessive ; les fioritures sont assurées, une fois n’est pas coutume, par l’orchestre, dans une tonalité suave, cuivrée.  

 

 

Les bijoux de la Castafiore, le rossignol milanais
Bianca Castafiore, alias le rossignol milanais -

Soprano contre Rossignol

Mais parler du rossignol en musique, c’est mettre avant tout en évidence le duo-duel que la diva mène avec l’oiseau. Car la plupart des compositions évoquant le rossignol requièrent l’intervention de soprani, et le plus souvent de soprani léger ou colorature, voix très aigües, virtuoses, vocalisatrices sans pareilles. Parfois de manière très naturaliste, souvent avec surabondance d’effets, au plus grand plaisir des auditeurs se pâmant des vocalises et trilles. C’est le cas dans Salavieï, mélodie populaire russe popularisée par Alexander Nikolaievitch Alabiev (1787-1851), dans l’air du rossignol « Au bord du chemin », dans Les Noces de Jeannette, de Victor Massé, en 1853 , ou encore dans la canción del ruiseñor tirée de la zarzuela Doña Francisquita (1923), de Amadeo Vives.

 

Autant d’exemples qui cultivent la joie de vivre, de s’éveiller à l’amour, de s’offrir à ses espérances, de se donner rendez-vous à la nuit tombée. Et donnent l’occasion aux divas de briller, bien plus que le rossignol. Par extension, et preuve de leur victoire incontestable, ces divas se voient identifiées à l’oiseau et qualifiées de rossignols par les mélomanes. Une appellation qui s’impose jusque dans la culture populaire, avec la figure incontournable de Bianca Castafiore, « le célèbre rossignol milanais » bien connu des tintinophiles de par le monde.

La voix / la voie de la modernité

À l’évidence, cette jouissance vocale se fait parfois au détriment de l’histoire évoquée, sans grand intérêt. Au moins Camille Saint-Saëns, encore lui, ne s’embarrasse-t-il pas de telles peccadilles avec Le Rossignol et la Rose, où les seules vocalises de la soprano dialoguent avec l’orchestre, charge à l’auditeur d’imaginer les mots d’amour qui lui plaisent. Voilà qui préfigure d’interprétations plus modernes de la figure du rossignol. 

Avec L’enfant et les Sortilèges (1919-1925), de Maurice Ravel sur un livret de Colette, le Rossignol participe de la révolte du monde des choses et des animaux contre l’enfant irrespectueux. Et, bien que le langage musical soit très moderne, ce sont encore les vocalises stratosphériques d’un soprano léger qui évoquent l’oiseau. C'était déjà le cas en 1914, avec Le Rossignol d’Igor Stravinsky, pour lequel le compositeur russe s’appuie sur les conventions et fait intervenir le rossignol à travers un grand air colorature. Pour autant, le langage musical s’éloigne progressivement de la tradition et le rossignol porte une dimension symbolique et morale forte : le rossignol, qui voit sa grâce auprès de l’Empereur de Chine ternie par un rossignol mécanique, s’enfuit puis revient, magnanime, tromper la Mort quand celle-ci vient chercher le souverain. Le chant du rossignol est désormais celui qui triomphe de tout, y compris du lot commun qu’est le trépas.

 

Federigo Longas s’inspire avec moins de réussite de cette même trame narrative pour une mélodie, Le rossignol et l’empereur, qui est surtout vouée à faire briller les divettes salonnardes.

Il semble qu’Alban Berg, avec Die naghtigall, emprunte en 1907 une voie beaucoup plus personnelle, où ni la symbolique, ni la virtuosité ne se sont essentiels. Même la nuit n’y trouve qu’une portion congrue. Et le compositeur ouvre à un imaginaire informel, qui n’est ni dans l’illustration du propos, ni dans le sens, mais privilégie un espace d’écoute et de pensée plus elliptique.

Un chemin qui sera d’ailleurs peu suivi, car en même temps que cette dilution de la figure du rossignol, c’est presque sa force inspiratrice qui s’épuise. Du moins dans la musique dite savante et en littérature. Anne Tomiche, dans Métamorphoses du lyrisme. Philomèle, le rossignol et la modernité occidentale soutient à cet égard que le chant du rossignol a été progressivement oublié et remplacé dans l’imaginaire collectif par d’autres espèces : l’exotisme du colibri ou l’angoisse du corbeau. Et qui contamine d'autres disciplines artistiques (on pense, sur un registre littéraire et cinématographique, à Les Oiseaux de Daphné Du Maurier, portés à l’écran par Alfred Hitchcock).

Éternel rossignol

Cette source inspiratrice étincelle cependant encore de ces derniers feux dans des compositions plus populaires. Il convient ainsi de conclure avec un rossignol délicieusement sucré et mièvre, c’est celui du Chanteur de Mexico, en 1951, dans un registre qui oscille entre l’opérette et la variété. Et où, une fois n’est pas coutume, ce n’est pas la soprano qui a la part belle, mais le chéri de ces dames, alias Luis Mariano. Timbre de soleil d’été matinal, rayonnant, chaud, aérien et parfumé, le ténor basque opère la synthèse parfaite des multiples variations du rossignol philomèle… Rien n’y manque : le cadre nocturne, l’oiseau témoin de la romance qui se transforme en prince charmant – rien que ça – la symbolique. Et bien sûr les vocalises, jusqu’à l’aigu pianissimo qui émouvrait la plus insensible des pierres. Et qui clôture ce panorama rossignolesque de la meilleure des façons. À vous désormais de poursuivre l’idylle en invitant le rossignol « Dès que minuit sonnera, quand la lune brillera » à venir chanter sous votre fenêtre…

 

Ami rossignol, je t'attends au cœur des forêts, des prairies

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Le Rossignol

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