Fréhel - Johann G. Louis

Au bastringue de la rue de Lappe, il y a foule ce soir. Le public s'agglutine près de l'estrade improvisée avec des casiers de bouteilles. Mains sur les hanches, une silhouette reconnaissable à sa courte frange, fait planer un regard noir sur l'assistance, puis doucement, après s'être tourné vers l'accordéoniste pour lui susurrer un "Vas-y minet vert", elle entame d'une voix rauque de veille pocharde l'émouvante chanson de Pépé le Moko. Celle que l'on disait perdue, malade ou encore morte, Marguerite Boul'ch, dite la pervenche, plus connue sous le nom de Fréhel, fait son grand retour après dix ans d'absence.

Servit par des illustrations tout en finesse, un rien brouillon, chargées de détails et rehaussées d'aquarelles évanescentes, Johann G. Louis, réalisateur, auteur et illustrateur signe un roman graphique émouvant et de toute beauté. Émouvant c'est le constat que l'on tire après la lecture de Frèhel, une vie dure triste et solitaire. Abandonné par sa mère et confié à sa grand-mère maternelle, Marguerite passe une partie de son enfance en Bretagne, au cap Fréhel, un agent la baptisera plus tard de ce surnom. Elle retrouvera sa mère à Paris quelques années plus tard, mais devant l'insistance souvent violente de celle-ci, se voit contrainte de quitter le domicile et errer sans but dans les rues de Paris. "C'est la rue qui m'a faite" dira Fréhel plus tard.

La période de l'entre-deux guerre, l'exode rural, la révolution industrielle, le sort de la masse ouvrière, c'est le quotidien de la petite Fréhel dont elle tirera la substance qui alimentera son répertoire servi par sa gouaille inimitable. Une histoire qu prend aux tripes, un destin émouvant ; Frèhel est une enfant issue des quartiers populaire et prisonnière de la misère, de sa condition sociale et de ses passions amoureuses qui la consumeront petit à petit. Magnifique et terriblement poignante que l'histoire de cette grande dame, véritable pilier de notre culture.