Agir non agir : éléments pour une poésie de la résistance écologique - Pierre Vinclair
Pierre Vinclair est un poète contemporain qui s'intéresse à la re-création des formes poétiques traditionnelles, notamment à l'épopée. Sensible aux événements et catastrophes écologiques contemporains, il croit en la portée active de la poésie et même en son pouvoir de transformation. Dans La sauvagerie, paru en 2020, Pierre Vinclair rédige 12 chants témoignant de la crise écologique à partir de textes que lui ont envoyé 50 poètes contemporains. Le confinement du monde en 2021 élaboré en temps de Covid, est composé de sonnets en l'honneur des vivants confinés, des morts de la pandémie, d'un enfant à naître.
Avec Agir non agir, Pierre Vinclair livre un manifeste original de sa démarche poétique. A partir du concept de sauvagerie, dont il constate que la part a presque totalement disparu de la surface de la Terre, il s'interroge sur le rôle que peut jouer la poésie : loin de la plainte et de la déploration, il porte sa recherche vers le combat et la vivacité. Pour ce faire, le poème peut revêtir de multiples incarnations : conçu comme un "petit être sauvage", souvent improvisé dans son écriture, il exprimera la liberté. Ou encore il se fera machine, cherchant à créer une image de la totalité ou à organiser les fragments d'un monde éclaté. Le poème est avant tout une forme se proposant d'agir sur le monde, avec la conscience ironique de son faible écho : "Urgence de l'action et lenteur du poème" constate Pierre Vinclair, tout en déployant de multiples trouvailles et modèles poétiques et en convoquant René Char, Paul Celan ou William Burroughs.
Le "poème refuge" proche du chamanisme, de la pensée magique, sauve en son déroulé même une espèce animale. Il fonctionne alors comme un corps vivant car "comprendre un poème, c'est pouvoir observer sa forme de vie". Le "poème noeud" est une "activité se présentant comme une chose", le poème expérience est tel une rivière, aux rythmes multiples et changeants. Pierre Vinclair consacre de très belles pages à La pensée sauvage de Claude Levi-Strauss, en réhabilitant les vertus du bricolage, de la trouvaille, de l'emprunt d'autres chemins que ceux de la raison occidentale, en vertu d'une autre manière de penser l'existence. Le recyclage, l'adresse à l'autre, l'échange et la réécriture de textes avec d'autres poètes pour que la création circule sont autant de manières de prouver que l'écrivain est relié aux autres et que le poème est agi et agit sur le monde.
Non pas le livre individuel du poète héroïque faisant face au mur des siècles mais la lente constitution collective du sens, ce sang qui pulse aux veines des sociétés, et que continue de produire comme son coeur en fusion, pour les animaux humains qui ne s'en rendent pas compte (même et surtout dans un monde abîmé), la pensée dans sa dimension créative, la poésie.