Adapter la bande dessinée au cinéma « et les gagnants sont… »
En 2019, le succès public d’une adaptation de bande dessinée sur grand écran ne se mesure pas à l’aune de la popularité de l’ouvrage original, ni de sa réussite commerciale, mais plutôt au niveau du rendu global de l’adaptation.
Le sujet est ardu, très suivi par les amateurs, et il n’est pas difficile de constater que depuis ses origines, l’exercice n’a fait que se complexifier et être sujet à polémique. En effet, rares sont les œuvres cinématographiques à avoir emporté les suffrages des critiques et des spectateurs. Il est d’ailleurs souvent plus aisé de réaliser un film inspiré d’un univers plutôt que réellement l’adapter. On citera par exemple Le Cinquième élément de Luc Besson, s’inspirant ouvertement et avec talent des univers de Mézières, Christin (Valérian) et Moebius (L’incal), ou Incassable de Night Shyamalan, citant assez librement mais clairement le personnage de Superman, sans jamais le nommer. L’Homme de Rio de Philippe de Broca (1964) a été largement commenté comme réinterprétation très libre des aventures de Tintin, et la meilleure adaptation de la série Valérian de Christin et Mézières, réside sans doute dans la création animée Skyland (2005) de Matthieu Delaporte. Certains réalisateurs ont aussi intégré au fil de leurs œuvres des hommages au médium. Petit tour d’horizon de dix décennies d’adaptation de bandes dessinées et de comics.
Les premières années « serials »
Les débuts de la bande dessinée coïncident à peu de chose près avec ceux du cinéma. L’économie florissante des comics strips aux États-Unis provoque et encourage un désir de retrouver sur grand écran les personnages appréciés par les familles, dans la presse, la semaine et le week-end.
La Famille Illico (Bringing Up Father, créée en 1913 par George Mc Manus) paraît sur les écrans seulement deux ans après son arrivée dans les journaux. On comptera jusqu’à sept films jusqu’en 1950, en faisant l’une des premières grandes « licences » de ce genre au cinéma. Parmi d’autres, on citera aussi Flash Gordon (5 adaptations de 1936 à 1982), Dick Tracy (5 adaptations entre 1945 et 1990), Jungle Jim de Don Moore et Alex Raymond (16 adaptations entre 1948 et 1956), et bien d'autres…
Ce phénomène de strips à suivre, publiés chaque semaine, a souvent fait l’objet de séries au cinéma ou à la télévision, afin d’engranger le maximum de recettes. La vogue des films comiques, muets, ne rendait pas ces créations cinématographiques si différentes des bandes dont elles étaient adaptées.
Les années de guerre et d’après-guerre voient surtout le développement de grands films sonorisés d’animation tel ceux de Walt Disney. Mickey Mouse est né officiellement en novembre 1928 dans le court-métrage sonorisé Steamboat Willie, et a ensuite fait carrière sous forme de comics strips, à partir de janvier 1930. Ces années voient naître des séries de super héros tels The Shadow (entre 1940 et 1946), Batman (1943 à 1949) ou Superman (1948 à 1954).
L’époque est fortement attachée au film noir et aux adaptations de pulps, romans de gare, autre culture populaire dont le succès précède celui des comics. The Shadow est le parfait exemple : créé en 1930, sa version comics ne date que de 1940. A noter pour l’Europe : Tintin le crabe aux pinces d’or, réalisé en poupées de chiffon en 1947.
Années 60 et 70 : l’Europe se réveille, le Japon aussi, et les comics mainstream trouvent petit à petit leurs moyens…
En resituant ces années 60 dans le contexte d’une jeunesse avec laquelle il faut davantage compter (les fameux teenagers), on constate une recrudescence des créations de films d’animations en couleur. Ces années sont également caractérisées par une une industrie de la bande dessinée en forte progression, tant aux Etats-unis qu’en Europe. A ce titre, les premiers clubs de bande dessinée sont créés en France (Le Club des bandes dessinées, de 1962 à 1967), tout comme les premiers festivals, en Italie (Bordighera en 1965 et Lucas en 1966).
En France, l’influence de la bande dessinée en tant qu’art dans les films se fait de plus en plus prégnante. De nombreuses réalisations donnent à voir des scènes truffées de références et clins d'œil à des albums classiques ou non.
Années 80 : l’animation s’empare de la science-fiction, la BD franco-belge entreprend d’adapter ses best sellers, et avec le numérique, les comics reviennent en force au cinéma.
Les Maîtres du temps (1982) est un film d’animation adapté d’un roman de Stefan Wul, mais entièrement dessiné par Moebius. Le film donnera lieu, comme beaucoup d’autres, à une adaptation en bande dessinée, ironiquement, dessins obligent. Tygra, la Glace et le feu (1983) est un peu du même tonneau, mais dessiné par Frank Frazetta, autre grand des comics. Ces films préfigurent ou donnent à voir ce que peuvent être des inspirations d’univers BD plutôt que de réelles adaptations. Howard... une nouvelle race de héros de Willard Huyck (1987), quant à lui, est, avec Flash Gordon (1982), le parfait exemple de ce que le cinéma de ces années a pu produire en « live action » à partir de comics.
Ces années 80 sont au final peu propices aux réussites artistiques, publiques…et commerciales, on le constatera avec quelques réalisations françaises.
Batman (1989) par Tim Burton, ouvre néanmoins la voie des grands films grâce au regain d’intérêt des comics nouvelle ère (Dark Knight de Frank Miller, 1986 et Killing Joke par Alan Moore, 1988). L’évolution des techniques d’effets numériques est aussi un atout de poids, le film pionnier dans ce domaine étant Star Wars, de George Lucas, en 1977. À partir de 1998, l'utilisation de ces techniques connaît un succès phénoménal, avec Godzilla, Men in Black ou Blade.
À partir des années 90, quasiment toutes les séries BD populaires franco-belges connaissent une adaptation en dessin animés, avec d’assez bonnes réussites artistiques. Une manière de rentabiliser encore davantage la manne des albums, tout en développant le merchandising. L’étendue de ces adaptations est parlante.
Années 2000 : l’industrie de masse et les « Comics super power » (l’ère Marvel) :
Si les premières adaptations de comic-strips surfaient sur une popularité évidente, le phénomène "poule aux œufs d’or" devient réalité seulement dans les années 2000, avec les adaptations enfin à la hauteur des comics Marvel. Ces années sont marquées par l’utilisation de moyens techniques jamais vus, dont les fameuses images de synthèse, permettant de (re)créer n’importe quel univers fantasmagorique. L’occasion d’ouvrir le champ des possibles, surtout dans l’univers des comics, où le frein de la technique ne permettait pas jusqu’à présent de rendre crédible les aventures science-fictionnelles délirantes de certains créateurs.
C’est dans ce contexte que les comics de l’éditeur Marvel prennent le pouvoir, avec une invasion cinématographique qui dure jusqu’à nos jours (54 films depuis 1973). Bien que précédée par d’autres films adaptés de comics ayant bénéficié de bons moyens financiers et techniques, l’année 2002 est marquée par l’arrivée tonitruante sur les écrans du Spider-man de Sam Raimi.
On note aussi le grand retour du concurrent DC comics avec Superman Returns en (2006), malgré des difficultés à « vendre » ces héros, plus anciens, aux jeunes publics. Notons aussi leurs dessins animés, diffusés en majorité à la télévision, très prisés par les plus jeunes.
En France, quelques films révèlent d’assez bonnes surprises, tels : Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre (2001), Adèle Blanc sec (2004) de Luc Besson, l’Enquête corse de René Pétillon (2004), ou même Sur la piste du Marsupilami d’Alain Chabat (2012), alors que d’autres laisseront moins de souvenirs impérissables aux amateurs, tel Gaston Lagaffe.
D’autres s’en sortent honorablement, auprès de publics enfants et familiaux, avec d’assez bonnes recettes et grâce à des castings appropriés : L’Elève Ducobu, Boule et Bill, Le petit Spirou (2017), Les Vieux Fourneaux (2018)…
Les titres alternatifs ou de plus petites structures d’édition donnent en revanche de meilleurs résultats artistiques sur grand écran, que ce soit en « live action » ou sous forme d’animation.
On l’a compris, la part de rentabilité d’une licence (souvent sur les produits dérivés, en plus des entrées) reste l’un des facteurs principaux de la fabrication d’un film, et surtout d’une série TV. Les adaptations ne permettent donc que rarement des réussites artistiques, et n’attirent malheureusement que très peu de nouveaux lecteurs sur les séries BD originales adaptées. Néanmoins, lorsque les impératifs financiers ne sont pas l’unique objet de la fabrication, tout devient possible, pour peu qu’un réalisateur de talent, aidé par la production, puisse se mettre réellement au service d’une bonne idée de base. Les exemples d’Asterix : mission Cléopâtre, Sur la piste du Marsupilami, Au revoir là-haut, ou les films adaptés d’Alan Moore comme V pour Vendetta, sont là pour le démontrer.