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La reprise dans le rock
Hommage, copie ou innovation ?

 

Beggin de Maneskin, fait un carton à la suite de la victoire de l’Eurovision du groupe en 2021. La version de 2007 par le duo Madcon parle sûrement à certains mais la version originale est celle du groupe Frankie and four seasons de 1967.

N’est-il pas frustrant de voir attribuer les mérites d’une chanson à un artiste l’ayant reprise et non à son interprète original ? N’est-il pas déroutant d’apprendre, parfois après plusieurs années, qu’un de nos titres préférés n’est pas une version originale mais une reprise ?

Le terme reprise, – cover en anglais –, désigne une forme musicale consistant à apporter une image nouvelle à un morceau existant, à le recouvrir d’un vernis nouveau. C’est l’interprétation d’une musique d’un autre, de manière assez similaire ou très différente.

Exercices de style indissociables du rock, les reprises multiples – on compte plus de 3 000 versions de Yesterday des Beatles ! – créent aussi un véritable patrimoine collectif de standards. Célébration du répertoire des anciens, elles rencontrent parfois un succès plus marqué que les titres originaux et les font perdurer dans la mémoire collective.

J’ai travaillé sur ces morceaux jusqu’à ce qu’ils sonnent comme les miens. Interview de Johnny Cash à propos de son disque American recordings.

Simple réinterprétation, appropriation intellectuelle, hommage nostalgique ou iconoclaste ? Étudions à travers les développements du rock quelques facettes de la reprise musicale.

 

Du rite de passage à l’innovation

Au début des années 60 tel un rite de passage, il est commun d’entrer dans le rock en reprenant des morceaux des aînés, à l’instar de Bob Dylan qui a "trituré" des classiques afin de les réinterpréter. La reprise est ici un processus d’imprégnation, d’adaptation de morceaux à la personnalité musicale d’un artiste, afin de révéler son propre génie.

L’exercice de la reprise a pu être ensuite dévalorisé par l’avènement du statut d’auteur-compositeur-interprète (incarné par les Beatles) et l’engouement pour des créations originales. Mais en offrant la possibilité d’explorer de nouveaux arrangements, la reprise peut faciliter l’innovation et créer de nouveaux territoires stylistiques.

La reprise ne se contente pas d’inscrire des groupes dans une tradition, un retour aux sources, elle leur permet aussi de créer l’avenir du rock. - Emmanuel Chirache, Covers : une histoire de la reprise dans le rock, 2015

 

La reprise électrique de la chanson de Bob Dylan par les Byrds a fondé le courant folk-rock.

 

 

Johnny Hallyday sort en français le titre O Carol en 1974, reprise du tube de 1959 de Chuck Berry Carol.

Salut les copains ! Les "yéyés", copies conformes ?

Courant musical du début des années 60, le "yéyé" est un terme péjoratif dans la bouche des adultes de l’époque. Il désigne une musique adaptée d’un succès anglo-saxon, souvent issu du Rock 'n' roll. Ce genre est plébiscité par la jeunesse du Baby-boom, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Hallyday et Vartan, Mitchell ou encore Dick Rivers..., le répertoire de chansons est vaste, et le filon d’une usine à succès semble inépuisable...

Simples traductions sans âme, récupérations mercantiles sans réelle inspiration ? Chacun jugera de l’intérêt artistique des procédés de reprises des "yéyés".

 

Reprises hommages : tribute bands, tribute songs, tribute albums...

Phénomène ayant pris son essor outre-Manche dans les années 90, le "tribute", hommage en anglais, a remis à la mode la reprise.

Il suffit de regarder les programmations des salles d’évènements pour se rendre compte de la multiplication des Tribute Bands. Tels des clones, ces groupes-hommages de fans font revivre le temps d’un album ou d’une tournée les titres d’un artiste spécifique vénéré. Ainsi, The Musical Box reproduit le plus fidèlement et respectueusement possible, à la note près, des concerts passés de Genesis.

Ce n'est pas si facile d’être volontairement dénué d’originalité. - Chuck Klosterman, auteur et essayiste de la culture populaire américaine

Dans une démarche d’artiste redevenant un simple interprète fan, la "tribute song" peut se faire en présence de l’auteur original, souvent invité sur scène.

Enfin, depuis les années 2000, les "tribute album" interprétés par un seul artiste ou un collectif se multiplient, allant jusqu’à la recréation intégrale d’un album, souvent un monument du rock classique.

 

Playlist de l’album I’ll be your Mirror, A Tribute to The Velvet Underground & Nico 2021, album hommage au Velvet Underground réunissant Michael Stipe (R.E.M), Iggy Pop (The Stooges) ou encore Sharon Van Etten.

 

 

La chanteuse Camille dans une version bossa nova de XTC

Reprise d’un genre à un autre

Déjà mise en œuvre de façon décalée voire iconoclaste par quelques Tribute Bands, - tels Beatallica rejouant la pop des Beatles à la manière de Metallica -, les reprises peuvent être des relectures transposées dans un style musical différent. Ainsi, le collectif "Nouvelle vague" lance avec succès en 2004 un album de tubes New wave revus en version bossa-nova acoustique, prouvant qu’éclairée avec des couleurs plus personnelles, la qualité mélodique initiale des morceaux est inaltérable.

De la reprise au pillage : contentieux musicaux

Mais la reprise interroge. Est-elle à appréhender comme un manque d’inspiration permettant de meubler des temps morts entre créations et versions originales ? De plus, il peut être difficile de différencier réinterprétation licite, simple inspiration, et pillage, tant les chansons qui se ressemblent peuplent l’histoire de la musique populaire.

Véritables mannes financières, les procès pour plagiat sont légion dans le monde du rock. Un des exemples les plus connus oppose les groupes Led Zeppelin et Spirit. Led Zeppelin sort en 1971 le titre Stairway to Heaven mais cette chanson devenue un standard incontournable présente des similitudes avec Taurus, une musique instrumentale de Spirit sortie 3 ans plus tôt. En 2016, la justice tranche : le morceau de Led Zeppelin ne ressemble pas assez à Taurus pour être qualifié de plagiat.

 

Réseaux sociaux : reprises regénérées et redécouvertes

Depuis les années 2010, les reprises spontanées, souvent du répertoire contemporain, explosent sur Internet. Des milliers d’anonymes publient leurs versions, conçues comme un amusement ou avec l’espoir d’être mis en avant par les algorithmes de recherche. Acoustiques, parodiques, a capella, en duo, à 5 sur une même guitare, en modifiant les paroles… les plateformes de partage vidéo ont ainsi entraîné une variété de formes de reprise musicale, rivalisant d’inventivité.

Actuellement, des reprises sur la plateforme TikTok font découvrir aux nouvelles générations des légendes du rock du passé. La reprise revêt ainsi un rôle éducatif en mettant en avant un morceau méconnu, oublié, le travail d’un artiste qui mérite une plus grande notoriété, une mise en lumière ou une nouvelle exposition. Libre à chacun d’apprécier ou non ces procédés de rafraîchissement des classiques du genre.

La reprise accompagne le Rock depuis ses origines, et évolue avec lui. Des tribute bands, qui perpétuent l'esprit des groupes mythiques, aux covers qui fleurissent sur le réseaux sociaux et permettent à la nouvelle génération de s'approprier les standards du genre ; la reprise est indissociable du succès du Rock, lui conférant son côté intemporel, et l'ancrant dans une forme de culture commune. Toutefois, la reprise n'est pas le seul exercice de style permettant de s'ouvrir à d'autres œuvres. Le sampling, cette pratique qui consiste à emprunter des échantillons de musiques, contribue également, depuis ses origines au milieu du XXe siècle, à briser les barrières qui existent entre les genres.

 

Cover du titre Copy of a sous forme de parodie pédagogique analysant les procédés stylistiques de Trent Reznor du groupe Nine Inch Nails