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À la rencontre des Vikings
La double facette des légendaires scandinaves n'a jamais autant excité l'imaginaire collectif que pendant la dernière décennie. Mais qui étaient-ils vraiment ?

 

Raid viking sur Lindisfarne - enluminure - 1130
Gravure de 1130 représentant le raid Viking mené contre le monastère de Lindisfarne

 

Entre admiration pour leurs exploits navals et militaires et profond dégoût pour la violence dont ils étaient capables, peu de peuples ont autant marqué l'imaginaire collectif que les Vikings. En parfaite illustration de la relation paradoxale qu'entretient notre société par rapport à la violence, l'image de ces valeureux aventuriers ayant dédié leurs vies à explorer et découvrir le monde fascine, aujourd'hui plus que jamais, et ce, en dépit de tous les massacres odieux dont ils se sont rendus coupables.

Avec en figure de proue la série Vikings (2013) produite par la chaîne américaine History, la décennie écoulée a vu déferler un véritable raz-de-marée d'œuvres reprenant, avec souvent beaucoup de pertinence, mais parfois aussi un certain opportunisme, l'image de ces guerriers venus du nord. Bien qu'il soit impossible d'être exhaustif, nous pouvons toutefois citer la série Netflix The Last Kingdom (2015), Assassin's Creed Valhalla (2020) le dernier opus de la licence de jeux vidéo des canadiens d'Ubisoft, mais aussi la série de mangas Vinland Saga (2005) et son adaptation animée (2019) ou encore Le Crépuscule et l'Aube (2020), de Ken Follett, prequel de son roman Les Piliers de la Terre (1990). 

Face à tant d'œuvres venant s'inspirer, s'approprier, remodeler et édifier une imagerie autour de la figure des Vikings, on est en droit de se poser la question : que sait-on réellement des Vikings ? Reste-t-il seulement une part de vérité historique dans le portrait qui nous en est fait via les œuvres populaires ?

Afin de répondre à ces questions, nous étudierons les deux facettes les plus représentées du mythe Viking : celui du guerrier sanguinaire et celui du navigateur intrépide.

La fureur des hommes du Nord

Au début de son livre Au temps des Vikings, le professeur d'histoire médiévale Anders Winroth explique qu'il désigne sous l'appellation Vikings les "hommes du Nord, qui pendant le haut Moyen Âge, ont multiplié les raids, les pillages, se sont battus en Europe". Pour cet historien, qui a étudié en profondeur les peuples du nord de la fin du VIIIeau XIe siècle, cela ne fait aucun doute : "Les Vikings étaient violents et même féroces. Ils partaient à la chasse aux esclaves, tuaient, massacraient et ont pillé bien des régions d'Europe, y comprit la Scandinavie ; il serait donc absurde de nier leur caractère sanguinaire." Dès lors, on pourrait se dire que la vision populaire du guerrier viking, représenté comme une brute coiffée d'un casque à corne (pour l'anecdote, notons ici que ce fameux casque à corne n'apparaîtra qu'au milieu du XIXe siècle, sous le trait du peintre Carl Emil Doepler, alors en charge de la création des costumes pour L'Anneau du Nibelung, le cycle d'opéra de Richard Wagner) massacrant et réduisant en esclavage les populations impuissantes n'est pas fondamentalement éloignée de la réalité historique. Sauf que...

Sauf que, comme le tempère très rapidement Anders Winroth, "les premiers temps du Moyen Âge sont une époque globalement violente, en particulier dans les sociétés sans État. [...] l'empereur Charlemagne et les premiers rois anglais ont fait usage de la même violence que les Vikings, et parfois à plus grande échelle." Ainsi, on pourrait logiquement se demander comment cette image de guerrier sanguinaire est parvenue jusqu'à nous.

Protège-nous, Seigneur, de la fureur des hommes du Nord. Ils ravagent notre pays, tuent femmes, enfants, vieillards ! - prière chrétienne

 

Si l'on cherche à se renseigner sur les grands raids Vikings des VIIIe et IXe siècles, force est de constater que la totalité des témoignages qui nous sont parvenus proviennent de moines, de prêtres ou d'évèques. Logique à une époque où le monopole de l'écriture est détenu par les institutions religieuses. Or, depuis les premiers raids Vikings sur les côtes anglaises, les monastères, les abbayes et tous ces lieux de cultes constituent des cibles de choix pour des pillages. Peu défendus et regorgeant de richesses, les lieux abritant les personnes les plus à même de témoigner des exactions des Vikings seront régulièrement attaqués, comme on peut le lire dans la Chronique Anglo-Saxonne, annales en vieil anglais probablement rédigées dans le Wessex sous le règne d’Alfred le Grand, à la fin du IXe siècle, et qui retrace l'attaque du monastère de Lindisfarne de 793 en ces termes :

Cette année-là, de terribles présages apparurent partout en Northumbrie et effrayèrent le peuple au plus haut point : il s’agissait d’immenses tornades et éclairs, et on vit des dragons de feu voler dans les airs. Une grande famine suivit immédiatement ces signes ; et, peu après, au cours de la même année, le 8 juin, les misérables dévastations des païens, pillant et massacrant, détruisirent l’église de Dieu à Lindisfarne

Si la plupart de ces témoignages se révèlent assez lacunaires, certains présentent tout de même des éléments permettant de mieux comprendre les tactiques employées durant les raids, à l'image du récit particulièrement détaillé d'un témoin de l'attaque de Nantes, en juin 843. Grâce à ce témoignage, on apprend notamment que les Vikings se livraient à des attaques par surprise, lorsqu'ils savaient qu'aucune force militaire n'était regroupée à proximité d'un lieu riche en butin. Comme conclut Anders Winroth "Dans de telles circonstances, remporter la partie n'impliquait pas d'être particulièrement assoiffé de sang ou de disposer d'armes sophistiquées ou de compétences guerrières exceptionnelles. [...] En dépit de leur réputation, les Vikings étaient, au moins au début, des amateurs au combat."

 

Siège de Paris par les Vikings. Les remparts figurant sur cette gravure tardive n'existaient pas à l'époque.
Siège de Paris de 845 par les Vikings. Les remparts figurant sur cette gravure tardive n'existaient pas à l'époque - Gravure du XIXe siècle

 

Représentation de guerriers Vikings à bord de leur bateau par l'Abbaye de Saint Aubin au XIIe siècle
Représentation de guerriers Vikings à bord de leur bateau par l'Abbaye de Saint Aubin au XIIe siècle

 

Les Norrois et leurs longs navires

Parmi tous les attributs des Vikings que l'on retrouve dans l'imaginaire collectif, le plus emblématique reste sans doute le bateau à voile et à rame, qui a permis aux Scandinaves de voyager jusqu'aux confins du monde. Bien qu'il soit connu en France sous le nom de Drakkar, nous n'utiliserons pas ce terme, que le linguiste Régis Boyer, auteur du livre Les Vikings a qualifié de nom "absurde et  monstrueux" qui ne trouverait aucune justification, "ni d'un point de vue lexicologique ni grammatical".

Les Annales royales franques de 810 nous apprennent que, cette même année, "une flotte de 200 navires en provenance du Danemark avait accosté en Frise" au nord du territoire de Charlemagne pour piller la région et exiger une rançon en échange de leur départ. Furieux, l'Empereur décida de faire marcher son armée jusqu'à la Frise pour en finir avec les pillards du nord. Seulement une fois sur place il apprendra que "la flotte qui avait ravagé la Frise était repartie chez elle." Cette année là, la redoutable armée franque ne livra jamais bataille contre les Vikings.

Cette histoire permet de corroborer l'instantanéité des attaques Vikings. Elle met en lumière la façon dont ces guerriers pouvaient frapper des cibles affaiblies et se replier en toute sécurité grâce à leurs navires en prenant de vitesse les troupes régulières des États qu'ils attaquaient. Parmi tous les témoignages abordant la question des attaques Vikings, il n'en est pas un qui ne mentionne pas la rapidité d'action des Scandinaves et de leurs bateaux.

Si les scandinaves du haut Moyen Âge n'avaient pas été d'excellents constructeurs de bateaux, il n'y aurait eu ni Vikings ni temps des Vikings. Mais ils savaient construire des navires rapides et maniables, pouvant transporter un grand nombre de guerriers et naviguer sur l'océan comme remonter les fleuves - Anders Winroth - Au temps des Vikings

Les Vikings étaient plus que conscients des qualités de leurs navires, au point de les honorer dans leur poésie, leur mythologie et même dans leurs rites funéraires.

Si l'artisanat des navires scandinaves était extraordinaire, leurs compétences de navigation ne l'étaient pas moins. Ainsi les navigateurs Vikings se sont révélés capables de se diriger dans des contextes maritimes et fluviaux très divers. En assurant la transmission des routes maritimes entre les générations et en observant précisement leur environnement, les navigateurs ont réussi à faire voguer leurs navires en direction de Terre-Neuve, de l'Islande, en Méditerranée, et jusque sur la mer Caspienne, assurant ainsi la prospérité des peuples nordiques, en pratiquant le commerce, les pillages, ou en s'enrôlant comme mercenaires.

Au final, ce n'est pas sans raison si les Vikings ont, années après années, continués à nourrir l'imaginaire collectif. Leur tactique d'attaques fulgurantes et opportunistes depuis leurs navires rapides à fait d'eux des guerriers redoutés. Pour les voies commerciales qu'ils ont ouvert à travers l'Europe de l'est et l'Atla'tique, ils se sont également forgés une image de pionniers. Bien d'autres points ont contribué à assurer la renommée de la culture Vikings, que ce soit au travers de leur mythologie païenne, en opposition radicale avec les idées des autres nations européennes, ou de leur littérature et plus précisément de leur poésie, dont les scaldes islandais étaient les principaux ambassadeurs. Autant d'aspects qui ont ouvert la voie à une imagerie dense et fascinante créant un terreau riche et fertile pour de nombreuses œuvres.