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Slam : un art hybride, entre écriture poétique et performance
Vers une nouvelle forme de parole poétique

La poésie est une clameur, elle doit être entendue comme la musique.
Toute poésie destinée à n'être que lue et enfermée dans sa typographie n'est pas finie;
elle ne prend son sexe qu'avec la corde vocale tout comme le violon
prend le sien avec l'archet qui le touche.
- Léo Ferré, préface à Poète... vos papiers !, 1956

Léo Ferré, défenseur d’une poésie orale affranchie du support écrit et de ses carcans académiques peut être considéré comme précurseur de l’esprit du slam, une forme de parole artistique apparue aux Etats-Unis il y a 40 ans.

Le slam est défini comme un « art oratoire consistant à déclamer de manière très libre des textes poétiques » (Petit Robert) ; ou encore comme de la « poésie orale, urbaine, déclamée dans un lieu public, sur un rythme scandé.» (Larousse).

« Slam », en slang (argot américain) est un terme polysémique. Il peut signifier claquer une porte, percuter un objet, ou critiquer avec virulence. Il résonne comme une onomatopée, un coup de poing donné sur la table pour capter l’attention dans un lieu bruyant. Il désigne aussi une compétition sportive.

Le slam est un lien entre écriture et performance, encourageant les poètes à se focaliser sur ce qu’ils disent et comment ils le disent. - Fédération française de Slam poésie.

L’engouement médiatique pour le slam depuis 20 ans s’accompagne souvent d’une méconnaissance de cet art, parfois perçu de manière réductrice comme une sorte de rap lent, poli, assagi. Cependant le caractère populaire du slam « ne doit pas faire croire à un […] art du pauvre que les élites intellectuelles seraient fondées à regarder avec condescendance.» - Gabriel Grossi

En suivant ses jalons historiques, nous nous demanderons quelle sont les spécificités du slam depuis ses origines. Est-ce un mouvement ? Quelles sont ses connexions avec d’autres arts auxquels on le compare ou lui prête des filiations (spoken word, poésie, chanson, rap, …) ?

Fondations américaines : tournois de poésie

Les origines du slam sont bien identifiées : à Chicago au début des années 80. Son inventeur est Marc Kelly Smith. Ouvrier en bâtiment et poète autodidacte, il organise dans un bar, le Green Mill, des compétitions de poésie ironiquement intitulées « Uptown poetry slam » (le slam des beaux quartiers). Elles visent à retrouver la frénésie accompagnant des évènements sportifs, avec comme alibi convivial : un poème dit = un verre offert.

Ces tournois de slam sont encadrés par des règles. Le jury, tiré au sort, arbitre qualité des textes et performances oratoires sans se laisser influencer par l’animateur, ni le public. Son écoute doit être bienveillante, respectueuse, tolérante. Les slameurs présentent une œuvre de leur composition, avec un temps égal de 3 minutes par passage. Tout accessoire, costume, accompagnement musical sont proscrits.

À partir de Chicago, le slam se constitue en véritable mouvement touchant l’ensemble du territoire américain. En 1990 il se fédère avec l’organisation du premier « Grand Slam national ».

 

Essor international et appropriations françaises

À partir de 1996, le mouvement sort du milieu underground lorsque des journalistes s’intéressent au slameur Saül Williams, vainqueur de plusieurs compétitions américaines et vedette des films documentaires Underground Voices et Slam Nation.

En 1997, Saül Williams participe comme scénariste et acteur au film Slam de Marc Levin, racontant le pouvoir réparateur des mots Caméra d’or au Festival de Cannes, il donne une reconnaissance au Slam en tant qu’art à part entière. Porté par l’engouement médiatique il prend alors un essor international.

Les premières scènes ouvertes françaises apparaissent au début des années 2000 dans des bars du quartier Pigalle, sous l’impulsion du poète Pilote le Hot, de Nada et du Collectif 129H, avant de gagner la province.

Certaines contraintes que s’imposaient les slameurs de Chicago ne sont pas reprises en France, où le Slam se forge sa propre identité en attirant un public de plus en plus varié. Il conserve de son modèle américain l’aspect communautaire, le rapport horizontal à l’expression d’une parole poétique désacralisée. Chaque membre du public peut devenir slameur, en recueillant la même attention, quel que soit son niveau.
 

La France à l’heure de Midi 20

Midi 20 est un disque unique à tous points de vue. Grand corps malade n’est pas musicien, ni chanteur, ni même rappeur. Il est slameur. En général, les slameurs ne font pas de disques, ils font de la scène. - Stéphane Deschamps - les Inrockuptibles - 2006

Le slam arrivé en France est soudainement incarné pour le grand public dans un personnage : Fabien Marsaud, alias Grand Corps Malade. S’écartant d’une ligne puriste, en 2006 son projet d’album allie le Slam à la musique, tout en conservant la mise en avant du pouvoir des mots. Midi 20 est disque d’or, propulsant cet art sur le devant de la scène médiatique.

Des bars, le slam se retrouve à l’Olympia, gagne les institutions culturelles et scolaires, des ateliers sont organisés dans les écoles et les médiathèques. Un réseau voit le jour, des Slam sessions sont organisées dans la France entière (Tournois « Bouchazoreill’», « slam united »…). Des textes de slameurs sont publiés sous forme d’anthologies (Slam entres les mots, de Stéphane Martinez…) ce qui signe une reconnaissance poétique du Slam.

 

 

Parlé-chanté

Le Spoken word, littéralement « mot parlé », est né à la fin des années 60 avec la volonté de politiser la poésie dans un contexte de révolte de la communauté afro-américaine. Il comprend souvent une collaboration avec  la musique ou la danse. Le texte est oralisé avec des intonations, des rythmiques particulières destinées à émouvoir pour porter un message.

Ses représentants les plus connus aux États-Unis sont The Last Poets et Gil Scott-Heron - souvent désignés comme précurseurs du rap. En France, le style parlé-chanté de Serge Gainsbourg en est inspiré. Des groupes actuels emploient ces techniques dans leurs enregistrements : Fauve, Feu ! Chatterton, Iaross mais aussi le slameur et chanteur Nevché.

Si l’expression spoken word est aujourd’hui employée pour qualifier un slam s’affranchissant de ses règles originelles par son accompagnement musical, il peut aussi être considéré comme son évolution directe.

Slam et poésie :

La métrique de la poésie traditionnelle est assouplie dans le slam. Les rimes ne sont pas obligatoires, le vocabulaire est simplifié, actuel, et peut librement emprunter au registre familier, argotique – ce qui n’exclue pas la virtuosité.

La figure reine du slam est la paronomase, variante de la répétition : des mots avec des sons proches mais de sens différents sont employés dans une même phrase (vanité / vérité ; erreur / terreur…)

Le slam est avant tout de l’écrit conçu pour être parlé, scandé avec un rythme, un débit ; il tire sa force de la scène et de l’a cappella. C’est un art du vivant, de l’instant et du partage.

De rares slameurs, comme Arthur Ribo se lancent dans l’art de l’improvisation, le « freestyle », en s’appuyant par exemple sur des mots proposés par le public.

Slam et chanson

Composition brève de textes et de musiques, la chanson a en commun avec le slam la concision. Mais la voix slamée est très différente de la voix chantée mélodique et un slameur peut ne pas être musicien.

Contrairement à la chanson, le slam ne peut exister véritablement sans performance scénique. La réception du public, l’interaction avec celui-ci est différente. Dans la chanson, le public d’un concert participe activement en fredonnant la mélodie ; dans le slam, le contact avec le public est plus direct, celui-ci peut être invité à compléter un texte, il peut exprimer ses émotions, voire l’accompagner avec des percussions corporelles…

Slam et rap : cousinage du flow et spécificités

Si le slam et le rap sont rapprochés, certains artistes puisant leur inspiration dans les 2 sphères, l’histoire de ces mouvements est distincte. Le rap (en argot, to rap : « bavarder », « baratiner » sur un support rythmique) est avant tout un genre musical afro-américain rattaché à la culture urbaine hip-hop, apparue au début des années 1970 aux États-Unis.

Si le slam est cousin du rap c’est par une forme typique de phrasé, de rythme, de scansion : le flow. Le flow du rappeur ou du slameur peut être lent ou rapide, plus ou moins fluide. Porteur de ponctuations, d’intonations, d’accentuations, de modulations de timbre vocal, il signe un style propre à chaque artiste.

Si une musique accompagne un slam, comme souvent sur un disque, le flow du slameur n’est cependant pas comme celui du rappeur influencé par le rythme de la musique : s’il y a musicalité, elle se situe au cœur du texte dit sur scène.

Slameurs et rappeurs partagent certains thèmes à dimension contestataire, liés à des revendications sociales : violences de la vie urbaine, jeunesse à la dérive, vie dans les cités, sentiments d’exil, dénonciation du racisme, de l’exclusion, du chômage... Cependant nombre de slameurs ne puisent pas leur inspiration dans le contexte des quartiers défavorisés, et traitent de valeurs comme l’amour, l’amitié, la solidarité, les rêves, l’espoir. La noirceur et la violence sont globalement moins marquées que dans le rap.

La différence la plus forte porte sur la transmission d’un message. Mis en avant dans le slam, dans le rap il peut être secondaire par rapport à la dimension musicale, à la mélodie.

Enfin, si dans le rap, une certaine ritualisation de la vantardise se fait sous la forme d’egotrip et de punch-lines, les valeurs du slam sont à l’opposé du star system et de l’outrance. Il n’y a pas de mise en avant du « moi » narcissique des slameurs, et leur posture est dégagée de toute visée commerciale. Dans les faits, le slam suscite beaucoup moins l’intérêt des maisons de disques que le rap.

 

 

 

 

 

Un caractère égalitaire et démocratique

En permettant à des personnes marginalisées de se réapproprier un art noble, dont l’accès pouvait être réservé à une élite, en établissant une passerelle liant écriture et performance, le slam a permis la diffusion de la poésie dans les lieux populaires ou institutionnels. Se voulant école de sincérité,  il l’a fait descendre de sa tour d’ivoire, l’a débarrassé de son image de désuétude pour en faire un spectacle vivant accessible à tous, sans artifices, interactif, à forte dimension de partage.

Pratique communautaire pour les uns, performance individuelle pour les autres,[…] le slam égalise le terrain sous les pas des poètes. Qu’ils soient issus de la rue ou des salons littéraires, le slam accorde la parole à toutes et à tous. […] Il concrétise pour un public demeuré longtemps déserteur, la rencontre avec la poésie.

[…] Ses élans contestataires et ses revendications sociales font de sorte qu’il est souvent comparé à du rap sans musique, mais il demeure en réalité plus affilié au parcours émancipé du jazz. Il libère la pratique du mot de la préciosité mondaine et de l’intellectualisation médiatique pour la réintroduire dans la sphère du politique. Poésie, art, mouvement, résistance, moment d’écoute et de partage : les positions sont diversifiées quant à définir le slam, mais s’accordent toutes à en revendiquer le caractère égalitaire et démocratique. - Ritta Baddoura - Slam, parole piégée - 2017