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Ecrivain à 3 Temps
Brigitte Giraud

Jeudi 19 octobre 2017

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1ère rencontre avec Brigitte Giraud dans le cadre du dispositif Écrivain à 3 Temps

 

Jeudi 19 octobre. 18 h 30. Brigitte Giraud lit un extrait de J’apprends. Cette lecture, sans anicroche, épouse un rythme dense, fait de phrases très courtes. Par le seul fil de la voix, légère, discrète, mais précise, elle annonce la couleur. Pas de théâtre ici, pas d’emphase mais la justesse et le maintien.

 

Raconter le monde selon sa propre version

 

Il est naturel pour Brigitte Giraud d’ouvrir cette soirée par cette œuvre tant ces fragments revêtent une dimension initiatique. J’apprends est le livre du commencement, ce temps si particulier où la découverte de l’écriture s’opère, quand l’enfant est capable de se dispenser des adultes pour percevoir le monde, quand la censure n’opère plus. Ne plus faire plaisir, ne plus offenser mais entrer dans une réflexion de soi-même. À travers cette évocation d’une expérience d’émancipation absolue dont elle garde une impression physique, Brigitte Giraud livre au public une clef majeure de son œuvre et de son être.

Au-delà de la langue-héritage transmise par la famille ou de celle inculquée par l’école, c’est au détour d’une strophe, « il pleut sur mon cœur comme il pleut sur la ville », qu’elle pressent que cette voie sera la sienne. Les mots qui viennent de bien avant soi seront le vecteur de l’expression de soi.

Un langage corporel

 

Cette rencontre a été également l’occasion de percevoir combien le corps parle autant que la voix, raconte autant que l’écriture. À observer Brigitte Giraud ce soir-là, à l’écouter, il était possible de sonder une concentration extrême. De soi à soi. De soi à l’autre. La posture entière repose sur une verticalité, sans rigidité. Les mains accompagnent l’idée sans déploiement intempestif. On pourra naturellement penser que la discipline du corps, héritée d’un long exercice de la danse, a contribué à ce maintien, reflet d’une écriture de la maîtrise. Ne dit-elle pas à propos d’Avoir un corps « être femme, c’est se reconquérir soi-même en permanence ».

L’écriture pour se réapproprier la vie

 

« Entrer en écriture, créer un livre, c’est être en tension, délivrer une énergie vivifiante mais certainement pas effectuer une thérapie ». Brigitte Giraud évacue toute tentation d’écriture cathartique. Sa démarche est davantage de se réapproprier une réalité. Avoir le choix de ses propres mots. Inverser le rôle domination / soumission. Elle l’affirme elle-même, l’écriture permet de reprendre le pouvoir.   

Cette intention prend un relief saisissant quand elle évoque À présent, récit de la semaine s’écoulant après le décès de son compagnon. Un laps de temps où plus rien n’a d’importance, où il n’est plus possible de maîtriser les faits, où l’événement est confisqué par autrui. C’est bien par l’écriture et le langage que Brigitte Giraud reprend la main sur cette part de sa vie intime.

On se prend alors à penser que ces épisodes de perte de contrôle jouent un rôle majeur dans le déclenchement de l’écriture. Une année étrangère, récit d’un séjour passé en Allemagne au cours duquel la relation de la narratrice à l’autre est parasitée par un allemand insuffisant, c’est encore le pouvoir du langage qu’elle met en exergue : dans un pays étranger, la perte de la maîtrise du langage conduit à évolution de la personnalité, moins brillante, moins à l’aise, moins séduisante. « Il est très difficile de dire non quand on ne maîtrise pas la langue ; le non ne peut pas être argumenté ».

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L’intimité pudique

 

Si Brigitte Giraud entend exercer un pouvoir, c’est sur elle-même et non sur l’autre. Malgré tout, l’autre trouve une place importante au cœur de son œuvre. Cette altérité côtoie tous les registres. Un loup pour l’homme, qui retrace le parcours fictionnel de ses parents pendant la Guerre d’Algérie, déploie un éventail de caractères humains du sublime au plus odieux. Elle rappelle à cette occasion les mots de Calaferte : « J’ai 13 ans, 14 ans, j’apprends l’homme, l’homme est une saloperie ».

Tout au long de cette soirée, à travers la voix, la parole, le geste, le mot, émerge l’idée très personnelle que le langage et l’écriture apportent une assise à Brigitte Giraud. De quoi dissiper une ombre sur laquelle, pudique, elle ne lève pas le voile. Laissons-lui ce territoire intérieur et envisageons avec elle ses désirs de créations partagées. Le 23 novembre, son dialogue avec Bastien Lallemant donnera très certainement un nouvel éclairage à son écriture. 

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Rencontres littéraires
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