Informer au temps du COVID
Depuis deux ans le monde est plongé dans une crise sanitaire globale. Lors du confinement de mars 2020, la vie de millions de français s’est retrouvée suspendue, chacun contraint d’inventer un nouveau fonctionnement, largement privé des interactions sociales élémentaires.
Dans cette situation exceptionnelle, face à une pandémie inconnue et menaçante, la place donnée à l’information dans notre quotidien de confinés a pris une importance inédite. Les médias ont dû s’adapter sous notre regard inquiet, parfois sceptique. Les journalistes ont dû improviser souvent, et réinventer leur manière de travailler dans un contexte économique déjà compliqué.
Un évènement médiatique historique longue-durée
A chaque période de crise, le public a soif d’information. Cet évènement médiatique historique a trouvé une audience inédite grâce au confinement. Un public captif peut consacrer un temps important à l’information.
La télévision, média en perte de vitesse, s’offre « une seconde jeunesse » en doublant l’audience des chaînes info. Le JT du soir crée un repère temporel dans nos vie confinées. Il permet de se raccrocher au collectif. La télévision reste le média central dans la famille et assure un rôle fédérateur.
Les temps d’antenne autour de la question du COVID sont démultipliés, et cela est flagrant sur les chaînes d’info en continu. Une étude de l’INA a permis de faire des décomptes précis de la manière dont les média ont occupé leurs programmes. Environ 73% des émissions diffusées sur BFM sont consacrés à la crise sanitaire durant les 8 semaines du premier confinement de 2020, avec un pic à 88% le 22 mars. Sur les chaînes généralistes, les JT n’hésitent pas à jouer les prolongations avec des éditions de plus d’une heure, incluant le décompte anxiogène quotidien orchestré par Jérôme Salomon (directeur général de la santé), du nombre des décès et des entrées en réanimations, scotchant à leur écran des millions de téléspectateurs, hypnotisés par ces calculs funestes et finalement toxiques.
Du côté de la presse écrite, on compte environ 19 000 articles chaque jour sur le COVID, et la presse régionale n’échappe pas à ce monopole de la crise sanitaire sur l’information quotidienne, avec 50 à 80 % d’articles qui traitent de l’épidémie dans ses pages.
Raconter ce que l’on ne voit pas
Dès les premiers jours de confinement les rédactions de presse et les studios se sont vidées de leurs journalistes. Avec beaucoup d’improvisation et de moyens numériques, une info faite à la maison prend le pas sur l’enquête de terrain. Quelques scènes incongrues, issues de lives en visioconférence de journalistes confinés du monde entier, nourriront quelques bêtisiers pour encore des années.
Sur les chaînes, les scientifiques occupent la place face à des journalistes qui déroulent inlassablement les indicateurs de pandémie fournis par Santé publique France, se perdant parfois dans des infographies mal maîtrisées. Le manque de journalistes spécialisés est criant. L’absence des femmes dans les médias durant cet épisode de confinement a également été montrée du doigt puisqu’elles n’occupent que 36% du temps d’antenne durant cette période, et que la parole dite « d’autorité » est confiée à 77 % à des intervenants masculins.
Des personnalités politiques ou inconnues du grand public émergent dans les JT en visio ou en présentiel restreint. Bien qu’il n’ait été filmé que très occasionnellement dans son CHU de Marseille, une palme peut être décernée au Docteur Raoult dont le nom a pu être cité jusqu’à mille fois dans une journée dans les différents médias ! La porte s’ouvre aux controverses et aux prédictions sur l’évolution de la pandémie. L’immédiateté préside, les polémiques enflent. Un manque de confiance envers les médias, toujours latent, s’accroît. Les journalistes « mainstream » souvent critiqués, sont régulièrement accusés d’être à la solde de la parole gouvernementale. On leur reproche leur manque de discernement dans le choix des invités en plateau ou interview.
Des discours fallacieux bénéficient d’une exposition médiatique. Certains intervenants sont omniprésents. La valorisation d’opinions personnelles, exprimées par des non-spécialistes, diffuse à grande échelle une information floue. Elle noie le public sous des données contradictoires. Après une telle exposition, les médias portent une responsabilité forte dans la perception de la crise auprès de la population et suscitent de nombreuses critiques à l’heure de l’apaisement. Dans l’ensemble, la presse régionale inspire plus de confiance envers des journalistes jugés moins proches du pouvoir, et qui ont souvent eu à cœur de parler des solidarités mises en place pour faire face à la situation, hors du tapage médiatique à grande échelle.
Des leçons à tirer
Deux ans après le premier emballement médiatique, spécialistes des médias et journalistes eux-mêmes s’interrogent sur la pratique journalistique. Il a fallu s’efforcer de communiquer des informations pratiques et claires sur la situation sanitaire, veiller à la proximité avec le public avec un discours scientifique accessible et enfin faire preuve d’esprit critique vis-à-vis de la parole officielle.
D’après un sondage effectué lors des Assises du journalisme en 2020, 90% des sondés déclarent avoir été bien informés sur les mesures sanitaires et les gestes « barrières ». En revanche, ils sont 33% à reprocher aux médias leur catastrophisme, 40% jugent qu’ils ont alimenté la peur et 18% vont jusqu’à penser que le traitement journalistique a été néfaste. Les « bads buzzs » boostent l’audimat, mais ils participent à la désinformation. Ils alimentent une cacophonie médiatique d’experts qui se contredisent, donnant du grain à moudre aux théoriciens du complot.
Des équipes de « fact checking », littéralement de vérification des faits, sont progressivement mises en place dans les rédactions. Le Guardian, éminent journal britannique, effectue le contrôle d’articles parus en ligne. Les articles erronés sont corrigés avec des informations vérifiées et à jour. Si la modification s’avère impossible, cela apparaît clairement dans l’article. La lutte contre la désinformation est en première place de la déontologie journalistique. Cela est d’autant plus vrai depuis l’apparition des réseaux sociaux. On a pu identifier 50 millions de publications problématiques sur Facebook en 2020 sur le sujet du COVID. Sur les réseaux, l’influenceur a pris la place du journaliste. L’usage des réseaux sociaux comme source d’information peut s’avérer dangereux et participe activement à la désinformation massive. Mais la pandémie n’a fait qu’accentuer une tendance déjà en place.
L’Université de Columbia a lancé une enquête intitulée Journalisme et pandémie, un panorama mondial des impacts dès le mois d’avril 2020. L’enquête montre que 70 % des journalistes interrogés ont répondu que la gestion des impacts psychologiques et émotionnels de la crise du COVID-19 sont les aspects les plus difficiles de leur travail et 67 % ont signalé des difficultés économiques. 43% des répondants ont dit sentir une confiance renouvelée du public pour le journalisme, alors que dans le même temps les attaques en lignes se font plus nombreuses et plus menaçantes.