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Frederick Wiseman
Immersion dans le cinéma réel

Une vision de l’Amérique intelligente et altruiste 

Pour son quarante-quatrième film, Frederick Wiseman choisit de déposer sa caméra dans la bibliothèque publique de New York et ses annexes. La troisième bibliothèque du monde s’avère être un territoire d’exploration sans limite.

Comme à son habitude le documentariste filme les humains qui partagent ce lieu, cherchant à rendre compte de l’expérience ordinaire. Tournant à l’instinct, Frederick Wiseman expose l’aspect dramatique du quotidien et des situations. Fin observateur de la société et de ses institutions, il montre comment la bibliothèque de New York joue un rôle social éminent au sein de la mégapole. Le réalisateur a d’ailleurs déclaré que le film était devenu plus politique que prévu après l’élection de Donald Trump. En effet, la bibliothèque propose de nombreuses actions en faveur des personnes défavorisées ou immigrées, une frange de la population souvent méprisée par le président américain. Pour le réalisateur, la bibliothèque représente tout ce que Trump déteste : la connaissance, l’histoire, l’entraide.

 

Le cinéaste des institutions

Spectateur de la « chose publique », Frederick Wiseman choisit comme terrain d’investigation les grandes institutions américaines : administrations, hôpitaux, armée, université, tribunaux, mais aussi grand magasin, zoo, agence de mannequins.  En France, il a filmé la Comédie Française, l’Opéra de Paris et le Crazy Horse.

Son premier film Titicut Follies (1967) est tourné alors qu’il est professeur de droit criminel à Boston. Interdit de projection durant 20 ans, pour son propos jugé « subversif », le film montre le quotidien d’un hôpital psychiatrique et pénitentiaire dans le Massachusetts. On y voit les corps nus impudiquement trimballés dans les couloirs de l’asile, les visages déformés par la démence, les corps allongés dans les tiroirs de la morgue. Le cinéma de Frederick Wiseman est ultra réaliste, parfois dérangeant, souvent bouleversant. Il montre la chose publique et l’envers du décor. Il confronte le rêve américain à la société américaine dans toutes ses contradictions.

L’anti Michael Moore 

Même si ses œuvres deviennent parfois le théâtre d’enjeux politiques, le travail de Wiseman est à l’opposé du documentaire engagé et idéologique. Il cherche à montrer, à poser les questions sans y répondre. C’est au spectateur de trouver ses propres réponses. La démarche est à la fois brute et subtile. Brute car le tournage « Wiseman » c’est une équipe de trois personnes et une caméra, aucun éclairage, aucune médiation, pas de scénario, pour des centaines d’heures de rushs. Subtile, car le style « Wiseman » c’est l’art du cadrage et par-dessus tout du montage : le montage comme écriture, comme outil du drame humain qui se joue sous ses yeux, seul élément de structure narrative. Pas de voix off, pas d’interview, pas de musique ajoutée. Un dénuement au service de son sujet : l’être humain en société. Une manière habile d’impliquer le spectateur. Pour lui, ses œuvres ne sont pas des documentaires, mais des « dramaturgies sans intrigue ». C’est un travail sur le réel qui n’affirme aucune vérité, afin de ne pas risquer de trahir le sujet, uniquement un point de vue, à un moment donné. Ses premiers films sont tournés et montés à la manière d’un reportage, puis le style s’affirme, Wiseman devient le maître des plans séquences et de la caméra. A la fois réalisateur scénariste, producteur, monteur, ingénieur du son et diffuseur, Frederick Wiseman dresse en plus de quarante films un portrait intime et sans complaisance de l’Amérique. Faisant confiance au hasard, il sait capter l’essence de la comédie humaine en des films monumentaux pouvant durer plus de trois heures.

L’immense filmographie de Frederick Wiseman, et son intérêt pour ses concitoyens, font de lui un éminent représentant du « cinéma réel ». Auteur d’une œuvre intemporelle, son travail est à l’échelle d’une chronique de l’humanité, comme il le souligne lui-même : « toute mon œuvre constitue un seul et même long film. »