La nuit sauve - Hélène Frédérick

Eté 1988 au Québec, un grand feu est allumé à la lisière d’un champ de maïs. Des jeunes fêtent la fin des cours, c’est une nuit chaude d’été, une des premières, de celles qui sont chargées de promesses.

Les enceintes crachent du rock à plein volume, la bière coule à flots et à travers le rodéo des motos, les regards se croisent et se décroisent, les groupes se meuvent et les silhouettes se fondent dans la pénombre. Trois voix se relaient pour dérouler la scène. Mathieu  fait office de DJ – place enviée et dévolue aux plus populaires -,  Julie est une jeune fille lucide et mélancolique qui entend bien profiter de la vie, et Fred, le plus cérébral, trimballe son corps massif et son mal de vivre. On pressent très vite que l’issue de cette nuit sera dramatique, quelque chose plane, à la fois imperceptible et inéluctable.

Avec La nuit sauve, la québécoise Hélène Frédérick signe son troisième roman. L’écriture est intense, nerveuse et poétique ; la rage de vivre affleure à chaque page, parfois balayée par une douceur mélancolique. La nuit est ici sous haute tension, les sensations olfactives et les frôlements de peaux créent une atmosphère extrêmement sensuelle, attisée par Caroline dont les provocations affolent Fred, et par Anélie, nouvelle venue dans le groupe et sujet de toutes les convoitises.
De courts textes sont placés dans les interstices et ce commentaire distancié, tel une voix off, éclaire la scène avec une lucidité implacable qui contraste avec la désinvolture des adolescents. Ils ne savent pas que c’est tout un pan de leur vie qui restera figé, là, dans l'épaisseur de cette nuit, et ce décalage est absolument saisissant.

Quelque chose allait tomber sur eux ; c’était la nuit sans retenue, rien d’autre, avec l’ivresse, les rires et les corps nerveux se mouvant dans l’herbe mouillée 

De quel ailleurs peut rêver la jeunesse rurale à l’aube des années 90 et de leurs désillusions brutales ? La nuit sauve-t-elle ? Elle en donne l'illusion tout du moins, voile éphémère qui par sa puissance et ses excès, masque les failles et renvoie la réalité au petit matin.
Roman sur l’adolescence, regard sur l’époque, les ados de La nuit sauve pourraient très bien être les grands frères de Leurs enfants après eux, dix ans plus tôt. 

Cécile