Vous êtes ici

De bon matin - Jean-Marc Moutout

De bon matin

Moutout, Jean-Marc 1966 - ... (Scénario)
Les Films du Losange

Descente aux enfers d’un cadre supérieur modèle

...
Voir la fiche complète

Après Violence des échanges en milieu tempéré Jean-Marc Boutou consacre en 2011 un second film à la question des rapports humains dans le monde du travail. De bon matin est inspiré d’un fait divers dans le contexte de la crise bancaire et financière de 2008. Un drame psychologique qui offre à Jean-Pierre Darroussen un rôle magistral.

Le film commence (presque) par sa fin. Un lundi matin, Paul Wertret (Jean-Pierre Darroussen), cadre brillant et père de famille modèle se rend à son travail, une banque où il est chargé d’affaires. Il sort un revolver et abat froidement deux de ses supérieurs. Puis il s’enferme dans son bureau. Dans l’attente des forces de l’ordre, cet homme brisé, jusque-là sans histoire, déroule en pensées des pans de sa vie et l’enchaînement des événements qui l’ont conduit à commettre son acte de folie.

La crise des subprimes. L’arrivée de nouveaux managers (Yannick Renier et Xavier Beauvois) chargés de réorganiser son agence bancaire. Rôdés à la culture de la rentabilité et de la performance individuelle, sans états d'âme, ils dénigrent toute la culture professionnelle des employés. Le quinquagénaire expérimenté, très investi dans son travail, se heurte frontalement à une conception de son métier niant son attachement aux valeurs humaines. Il fait désormais partie de ceux qui dérangent.

Dans ce conflit, un processus de harcèlement psychologique se met en place à son encontre, le conduisant aux doutes, minant progressivement son estime de lui-même. Plus il résiste, plus il est implacablement humilié, isolé et placardisé, sans aucune raison objective. Il sombre dans une dépression dont les conséquences retentissent progressivement dans tous les domaines de sa vie.

 Je me suis totalement investi dans mon métier, j’y ai mis le meilleur de moi-même. Toute mon énergie, toute mon intelligence. Tout mon temps. Tout ce que je pouvais… Tout ce que j’étais. Et d’un seul coup, ce qui était une réussite devient un échec. Du jour au lendemain vous ne valez plus rien.

Avec ses aller-et-venues entre présent et passé, la forme de ce film est extrêmement maîtrisée.  Dans sa construction narrative rigoureuse, composée de scènes courtes de vie professionnelle ou familiale, chaque plan a sa place. Le traitement méticuleux de la lumière, de la bande-son (presque entièrement dépouillée de musique) lui donne une force ultra-réaliste. Le contraste entre le calme apparent, le cadre lisse et feutré de l'open-space de la banque et la violence psychologique sournoisement à l’œuvre est particulièrement saisissant.

Jean-Marc Boutou montre la progression du malaise, la communication impossible et la terrible solitude de son personnage, sans jamais le juger ni l’excuser. Aucune échappatoire, aucun secours véritable de sa famille, ses amis, ses collègues, ni de la médecine du travail.

Par son jeu et son expressivité, Jean-Pierre Darroussin est criant de vérité, et tous les personnages secondaires sont justes.

Ce drame humain traitant de la question de la souffrance au travail, à la conclusion glaçante, dénote sans doute dans notre « happycratie ». Après le récent procès France Télécom, il s’avère particulièrement actuel, nécessaire et difficile à oublier.

Olivier N.

 

DVD
Cinéma