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Le Nature Writing
Un genre grandeur nature

 


Catskills - Thomas Doughty

 

Découverte des origines et des évolutions d’un genre littéraire devenu au fil du temps incontournable.

Né aux États-Unis au XIXe siècle, le nature writing est un genre littéraire qui place la nature au cœur de ses préoccupations et nous pousse à nous questionner sur la place que l’homme y occupe. Le nature writing est intrinsèquement lié à la culture et à la géographie américaine.

Je jetais un coup d’œil vers la rivière sinueuse, entre les parois sombres et accidentées du canyon qui découpaient déjà le soleil de ce milieu d'après-midi. Il n'y avait rien au-delà de ces murs de pierre et de verdure, si ce n'est les étendues sauvages de la Selway-Bitterroot, à l'infini. J'étais seul, au cœur même de la solitude. - Pete Fromm - Indian Creek

L’historien français Jean Kempf cite trois piliers fondamentaux de la culture américaine : La Nature, L’Exceptionnalisme et la Liberté. La nature fait partie de l’identité des Etats-Unis et cela s’explique notamment par la taille du pays et la diversité de ses paysages. L’historien Roderick Nash dans Wilderness and the American Mind, démontre l’importance de la nature sauvage dans l’imaginaire américain, et ce, depuis le début de la colonisation du territoire. La nature sauvage se conçoit pour les Américains en opposition à l’idée de civilisation. Dans l’imaginaire des premiers colons, l’Amérique est le dernier territoire libre et sauvage du monde. 

Cette opposition entre le monde sauvage et la civilisation est un sujet très bien exploité par la littérature tout comme la peinture dès le XIXe siècle. Thomas Doughty fut l’un des premiers peintres aux Etats-Unis à reproduire sur toile les paysages américains, ses toiles préfigurent la Hudson River School, ce mouvement artistique, héritier du Romantisme, qui s’intéresse à la représentation des paysages américains. Les manifestations spectaculaires du paysage, que les expéditions du XIXe siècle découvrent petit à petit, deviennent ainsi les vrais monuments américains. Un imaginaire puissant autour de la nature du fait de la géographie du continent émerge dans l’art tout comme dans la littérature.

Au XIXe siècle, la nature et la soif de liberté sont déjà fortement présentes dans les écrits de nombreux romanciers avec des histoires de pionniers, de hors-la-loi qui viennent enrichir le genre du roman d’aventure. Herman Melville, Bret Harte ou James Fenimore Cooper exploitent et détaillent la place de la nature dans leur société en confrontation avec le monde « civilisé ». Les romans du grand Nord de Jack London sont aussi des romans à rattacher au nature writing. Tout comme les récits d’aventure un peu moins connus, mais tout aussi intéressants de James Oliver Curwood qui voyagea comme un trappeur et qui publia près d’une trentaine de romans d’aventure prônant l’importance de la nature à l’image de Kazan en 1914 ou encore de Grizzly en 1916. Ce dernier fut adapté au cinéma par Jean-Jacques Annaud sous le titre de l’Ours. Coté poésie, le recueil Feuilles d’herbes (Leaves of grass) de Walt Whitman est un monument de la poésie américaine et offre quelques sublimes pages sur la beauté de la nature et le lien entre l’homme et cette dernière.

Une figure tutélaire

La figure majeure du nature writing est Henry David Thoreau dont les écrits sont la pierre angulaire de ce mouvement. Philosophe transcendantaliste, ses deux œuvres majeures sont La désobéissance civile et Walden ou la vie dans les bois. Avec Walden, on attribue à Thoreau la paternité du nature writing. Walden est un récit très difficile à catégoriser. Dans ce récit autobiographique composé sous la forme d’un journal, l’auteur livre ses pensées philosophiques qu’il entrecoupe de descriptions poétiques de la nature avec des détails plus prosaïques de son expérience dans les bois au bord de l’étang de Walden. 

Henry David Thoreau demeure l’un des pères fondateurs du nature writing, ses écrits ont incité de nombreux auteurs à se battre pour louer et défendre cette nature sauvage si précieuse et fragile. En 1833, Thoreau rencontre un des représentants importants du transcendantalisme, Ralph Waldo Emerson, qui va façonner sa manière de penser à son rapport avec la nature. Ce dernier devient rapidement son ami, puis son mentor et publie en 1836 un essai intitulé Nature. Cet essai est la première œuvre à poser les fondations de la vision américaine de la Nature. Dans ses écrits, Thoreau mène des réflexions sur la vie simple, loin de la société, prônant l’individualisme et la communion avec la nature. « Poète-naturaliste », père de ce qui deviendra le nature writing, Thoreau est aussi un militant convaincu qui se bat notamment contre l’esclavagisme et prône la désobéissance civile dès 1846. Il porte avec sa plume la philosophie des Transcendantalistes comme Emerson avant lui ou encore le poète Walt Whitman.

Sébastien Baudoin dans son essai Aux origines du Nature Writing, démontre que la place de l’œuvre Thoreau est fondamentale pour le nature writing mais qu’il ne fut pas le premier à glorifier la nature sauvage américaine. Il cite ainsi le naturaliste William Bartram, François-René de Chateaubriand ou Alexis de Tocqueville qui, chacun de manière différente, célèbrent la nature dès le XVIIIe siècle.

 


Henry David Thoreau - l'étang de Walden

 

 


Portraits de John Muir et Edward Abbey

 

Un genre littéraire engagé

Au cœur du nature writing se trouve le concept géographique de la wilderness. La wilderness est née aux États-Unis et désigne la nature sauvage dont les étendues sont porteuses de dangers pour l’individu souhaitant la conquérir ou s'y confronter. Ce rapport de l’homme face à la nature est typique de la société anglo-saxonne comme en témoigne une loi fédérale sur la protection de la nature décrétée en 1964. Cette loi définit légalement la wilderness comme « un lieu où la terre et sa communauté de vie ne sont point entravées par l'homme, où l'homme lui-même n'est qu'un visiteur de passage. » Le but du Wilderness Act est d’instaurer des zones de protection fédérale pour la faune et la flore américaine. La nature prend aux Etats-Unis pour la première fois une dimension patrimoniale qu’il faut savoir gérer et protéger. C’est bien dans ce pays que se développe une pensée de l’environnement reprise par la définition que fait l’Unesco du patrimoine naturel. 

Le nature writing porte en son sein un double message : chanter la beauté de la nature sauvage et alerter la société sur sa disparition imminente.
Ce second message est également primordial, car les récits de nature writing ne sont pas que l’illustration du retour de l’homme dans son habitat naturel ou l’exaltation de la dangerosité et de la beauté de cette dernière, mais un genre littéraire engagé qui s’applique aussi à montrer les ravages effectués par l’homme.

Deux auteurs ont profondément marqué les Etats-Unis par leur activisme. Il s’agit de John Muir et Edward Abbey.

 


John Muir est un botaniste, un poète et un militant pour la protection et préservation de la nature. Il est considéré comme l’un des pionniers de l’écologie avec son combat pour la préservation des grands espaces et la création des parcs nationaux. “Il aurait pu être millionnaire, il a choisi d’être vagabond”, écrit Alexis Jenni en en-tête de sa biographie de John Muir. Alors qu’il était un très bon ingénieur, à la suite d’un accident qui entraînera une cécité temporaire, John Muir prend conscience qu’il n’a pas assez profité de la beauté de la Nature. Une fois la vue retrouvée, il parcourt le monde, préoccupé par l’exploitation excessive de la Sierra Nevada pour le développement économique de la Californie provoquée par la ruée vers l’or. Par ses écrits, John Muir se bat, milite pour protéger la vallée du Yosemite. Le 1er octobre 1890, la vallée du Yosemite devient le 2e parc national des Etats-Unis après celui du Yellowstone en 1872. John Muir dénonce dans ses écrits les bouleversements des écosystèmes causés par la main de l’homme. En 1892, il fonde l’association Sierra Club dont le but est de protéger la Sierra Nevada et qui demeure la plus ancienne ONG destinée à la protection de l’environnement.

Edward Abbey, est quant à lui né en 1927. C’est un écrivain et militant écologiste radical. À l'âge de 17 ans, il quitte la ferme familiale en Pennsylvanie pour traverser les Etats-Unis en stop. Il travaille comme ranger dans plusieurs parcs nationaux notamment celui des Arches pour la préservation duquel il se battra. Il relate cette expérience de dans son récit Désert solitaire et il obtient, en 1975, un franc succès avec son roman Le gang de la clé à molette ; ouvrage qui conduira à la création en 1980 de l’organisation radicale EarthFirth qui milite pour la préservation de la planète. Edward Abbey est un militant et l’une des figures de la contre-culture américaine que porte le nature writing. Digne héritier de Thoreau, Edward Abbey reprend dans certains écrits l’idée d’un journal témoignant d’une expérience en pleine nature. Ce procédé sera d’ailleurs utilisé par d’autres auteurs comme Rick Bass, Pete Fromm ou encore John Haines. 

On ne peut pas se sentir soi-même lorsqu’on est en plein air ; la plaine, le ciel, les montagnes irradient une beauté que l’on ressent. On baigne dans les rayons spirituels qui nous encerclent de la même manière que l’on se réchauffe à un feu de camp. Et à ce moment, on perd la conscience de son existence séparée, on se fond avec le paysage et on devient un élément, une partie de la nature. - John Muir

 


Photographie du Parc Nationale de Glacier dans l'État du Montana

 

Les évolutions du Nature Writing

L’école du Montana

Le nature writing demeure un genre vivant qui compte aujourd'hui plusieurs « écoles », dont la plus connue est celle du Montana. Le terme d’école n’est pourtant pas bien approprié, il s’agit comme l’explique Rick Bass davantage d’un mouvement que d’une école. En effet les genres et les formes de récits divergent tous et n’ont qu’un seul point commun, celui de faire de la nature un personnage à part en entière dans les œuvres.

“ Nous ne posons pas la nature autour des personnages ou les personnages autour de la nature. Personnages et nature ne font qu’un.” - Rick Bass

Dans les années 1960, s’inscrivant dans la lignée des premiers auteurs de nature writing, des écrivains initient ou assistent à des ateliers d’écriture. C’est une forme de contre-culture qui naît à cette époque en contradiction avec le tumulte des grandes villes comme New York. En 1964, le poète Richard Hugo dirige un atelier d’écriture à l’Université de Missoula. Ces ateliers vont connaître pendant quelques années une période d’effervescence. Les “écrivains du Montana” sont les héritiers de Jack London, Mark Twain, Thoreau et Jack Kerouac, car ils partagent une vision du monde, une philosophie commune. La plupart de ces auteurs ont eu plusieurs vies avant de devenir des auteurs, ils ont bien souvent été garde forestier, pêcheur, fauconnier, éleveur, ranger...  Ce sont des auteurs ayant vécu en immersion dans la nature qui écrivent à partir de leurs expériences. 

La popularisation du genre

Parmi les auteurs très connus du grand public, on retrouve Jim Harrison qui se fait remarquer la première fois par son recueil de nouvelles, Légendes d’Automne adapté dans les années 1990 au cinéma. Mais aussi des auteurs comme Ron Rash ou Norman Maclean dont l’ouvrage La rivière du sixième jour sera adapté au cinéma par Robert Redford sous le titre Et au milieu coule une rivière. Dans les années 2000, Into the Wild de Jon Krakauer nous relate l’histoire vraie de Christopher McCandless qui quitte le confort de la vie citadine pour l’aventure de sa vie, la solitude dans le grand nord. Cette œuvre met de nouveau en lumière le genre du nature writing et le porte à la connaissance du grand public. La manière dont Sean Penn retrace le parcours de Christopher McCandless montre l’influence que Thoreau et d’autres auteurs américains ont pu avoir sur une jeunesse en perte de repères et désirant renouer avec la nature.

Comme nous l’avons déjà évoqué, au XVIIIe et XIXe siècles, des auteurs de romans historiques ou de romans d’aventure plantent leurs intrigues dans la nature sauvage du Grand Nord ou sous le soleil des plaines et des vallées du Sud des Etats Unis. Aujourd’hui, avec les bouleversements écologiques, le nature writing s’invite dans le roman noir, le récit d’aventure, le western, le roman historique ou encore le roman d’anticipation tel Dans la forêt de Jean Hegland. Le nature writing se démocratise avec des auteurs comme David Vann, Peter Heller, Jim Fergus…. En Europe et en France, certains auteurs vont introduire dans leurs écrits cette vision de la nature.
 
À partir d’un genre littéraire typiquement américain né avec la pensée philosophique de Thoreau et de ses héritiers, la curiosité pour les "écrivains de la nature" connaît aujourd'hui un intérêt croissant. Un intérêt qui se nourrit de la prise de conscience par le grand public et par les politiques de l’urgence climatique et écologique. Désormais, cette préoccupation se retrouve dans des ouvrages de genres très différents pour éveiller les populations à la beauté du monde sauvage et à la nécessité de le préserver. Un foisonnement d'œuvres poétiques et solaires à l'image de L'arbre-monde de Richard Powers ou au contraire d'écrits plus alarmistes et sombres de science-fiction post-apocalyptique tels que Exodes de Jean-Marc Ligny.

 


Photographie du Parc national de Yosemite

 

Nature-Writing

Vignette du document Denali

Denali

Gain, Patrice 1961 - ...
Vignette du document Désert solitaire

Désert solitaire

Abbey, Edward 1927 - 1989
Vignette du document Le  gang de la clef à molette

Le gang de la clef à molette

Abbey, Edward
Vignette du document Le  nom des étoiles

Le nom des étoiles

Fromm, Pete 1958 - ...
Vignette du document Les  huit montagnes

Les huit montagnes

Cognetti, Paolo 1978 - ...
Vignette du document Le  journal des cinq saisons

Le journal des cinq saisons

Bass, Rick 1958 - ...
Vignette du document La  rivière

La rivière

Heller, Peter 1959 - ...
Vignette du document Au coeur du pays

Au coeur du pays

O'Brien, Dan 1947 - ...
Vignette du document Journal, 1837-1861

Journal, 1837-1861

Thoreau, Henry David 1817 - 1862
Vignette du document Walden ou La vie dans les bois

Walden ou La vie dans les bois

Thoreau, Henry David 1817 - 1862
Vignette du document Légendes d'automne

Légendes d'automne

Harrison, Jim 1937 - 2016
Vignette du document Les  étoiles s'éteignent à l'aube

Les étoiles s'éteignent à l'aube

Wagamese, Richard
Vignette du document Voyages en Alaska

Voyages en Alaska

Muir, John 1838 - 1914
Vignette du document Le  Grizli

Le Grizli

Curwood, James Oliver 1878 - 1927
Vignette du document Dans la forêt

Dans la forêt

Hegland, Jean 1956 - ...
Vignette du document La  vallée seule

La vallée seule

Bucher, André 1946 - ...
Vignette du document Les  Leçons de la rivière

Les Leçons de la rivière

Bouvier, Nicolas 1929 - 1998
Vignette du document Oeuvres

Oeuvres

Bouvier, Nicolas 1929 - 1998
Vignette du document Écotopia : Notes personnelles et articles de William Weston

Écotopia : Notes personnelles et articles de William Weston

Callenbach, Ernest 1929 - 2012
Vignette du document L'arbre-monde

L'arbre-monde

Powers, Richard 1957 - ...
Vignette du document La  route

La route

McCarthy, Cormac 1933 - ...